© Gérard Rouy
Tourcoing Jazz Festival

Les mélodies enchantées de Michel Portal

par Gérard Rouy
Publié le 22 octobre 2021 à 13:59

Parmi une pléiade de prestigieuses têtes d’affiche (Henri Texier, Gilberto Gil - en co-production avec Jazz en Nord - Ibrahim Maalouf, Biréli Lagrène, Ballaké Sissoko, Manu Katché, Souad Massi...), le Tourcoing Jazz Festival présentait le 14 octobre au théâtre municipal Raymond-Devos la dernière des nombreuses formations créées par le multi-instrumentiste et compositeur Michel Portal, « MP85 » (dont le disque au titre éponyme vient d’être récompensé album de l’année par Les Victoires du Jazz 2021), devant un auditoire enthousiaste qui lui fit une ovation debout. Les soirées présentées par le Tourcoing Jazz Festival sont constituées de deux concerts distincts (ici pas de première et de deuxième partie). Le premier laissait entendre le Try ! Quartet de la jeune trompettiste Airelle Besson. Avec son quintet MP85, Michel Portal fêtait ses 85 ans à la tête d’un groupe européen transgénérationnel en compagnie de deux fidèles complices, le pianiste serbe Bojan Z (Z comme Zulfikarpasic) et le contrebassiste Bruno Chevillon, du tromboniste allemand Nils Wogram et du jeune batteur belge Lander Gyselinck. Dans la jazzosphère, nul n’ignore que Portal est de formation classique, qu’il est un soliste remarquable du répertoire de Brahms, Schumann ou Berg, l’un des interprètes de prédilection de compositeurs contemporains comme Stockhausen, Boulez ou Kagel, lui-même compositeur (un peu méconnu) de musiques de films (Le retour de Martin Guerre, Max mon amour...) saluées par trois César, qu’il a travaillé sur disques avec des chanteurs de variété (c’est lui qui commente-surligne au saxophone alto certaines chansons de Barbara) et qu’il est à l’origine du mouvement free jazz en France dans les années 60. Au terme d’une fringale de projets et rencontres dans le domaine du « jazz improvisé », c’est en juin 2020, au sortir de deux longs mois de confinement, qu’il enregistrait à Amiens l’album MP85. « Je voulais une musique heureuse, vivante, explosive..., confiait-il. Quelque chose qui soit ouvert à l’instant présent et qui renoue avec le plaisir du partage et du collectif après toutes ces semaines d’emprisonnement et de solitude. » De fait, la musique présentée sur la scène tourquennoise était un véritable élixir de jouvence sans la moindre esbroufe technique, marquée par un sens de la mélodie enchantée avec une émotion et un entrain somme tout fort juvénile non dénué de fantaisie et même d’humour. « MP85, expliquait-il au public, c’est Mister Pharmacie... », soulignant ainsi son inaltérable inquiétude et son « intranquillité » permanente (selon l’expression du photographe Guy Le Querrec). Stimulé par un orchestre de haut vol (où le pianiste Bojan Z s’imposa comme une forte personnalité, également compositeur talentueux, dont « Full Half Moon » est la trace), l’inspiration et l’invention de Michel Portal nous ont fait passer de l’Afrique (« African Wind ») à l’Arménie (« Armenia ») et même à Cuba (« où je ne suis jamais allé », confie-t-il au public), rendant également hommage à ses amis musiciens dans Mino-Miro (le percussionniste français « Mino Cinelu » - Ci-ne-lu, et non pas « Tchinelou » comme l’annonça en lever de rideau le pathétique « directeur » perpétuel du festival - et le contrebassiste tchécoslovaque Miroslav Vitous). Si le terme n’était pas éculé, nous pourrions écrire que ce concert côtoyait la magie pure. Et je me souviendrai longtemps de l’interprétation en trio avec les cordes de Bojan Z et de Bruno Chevillon, au cours du deuxième et ultime rappel, de la sérénité et du lyrisme aérien d’un chant basque de sa composition, « Euskal Kantua », qui nous laissa tous ébahis et pantois.