Macbeth Underworld de Pascal Dusapin à La Monnaie jusqu’au 5 octobre

Macbeth Atmosphère

par PAUL K’ROS
Publié le 1er octobre 2019 à 15:59 Mise à jour le 2 octobre 2019

Ce n’est pas le Macbeth de Shakespeare et ne se revendique pas pour tel. Disons qu’il s’agit d’une suite de variations obsessionnelles tournant comme vis sans fin autour du couple infernal, « ces deux-là » comme les nomme le compositeur Pascal Dusapin qui a repris la ténébreuse affaire à son compte. Il n’y a donc pas d’histoire dramatique en développement susceptible d’aiguillonner l’attente du spectateur, mais les échos infinis, les éclats tourmentés les traces indélébiles, dans le paysage physique et mental, du crime sans cesse resurgi, sans cesse recommencé.

Ce Macbeth Underworld, opéra du compositeur Pascal Dusapin nous plonge d’emblée dans ce que l’on pourrait nommer une Macbeth atmosphère et nous emporte dans un tournis d’images sonores, visuelles verbales en confusion permanente. La réussite et l’intérêt de cette création mondiale au Théâtre de la Monnaie résident dans cette intime connivence entre le compositeur déjà nommé, le metteur en scène Thomas Jolly et le librettiste Fréderic Boyer La musique déjà classique de Dusapin taraude les soubresauts de l’âme de Macbeth et de sa Lady, vibrionne les annonciations frénétiques des trois sorcières muées ici en trois sœurs bizarres, claironne et bat le tambour d’un fantasque portier des enfers.et fait planer par-dessus la fournaise des ambitions sanglantes et des remords inextinguibles l’innocence cristalline de l’enfant mort ou à venir.

Pascal Dusapin sait faire usage de la violence pénétrante des cuivres, du coup de tonnerre des percussions comme de la subtilité d’instruments rares tel l’archiluth ou venus d’ailleurs comme le chekeré, le kola, le djudju et aussi les siffleurs d’oiseaux qui un instant apaisent l’espace. Familier de l’écriture du compositeur le chef Alain Altinoglu embarque l’orchestre de la Monnaie dans l’aventure avec une diabolique et raffinée gourmandise.

Thomas Jolly joue alternativement des mille nuances de la noirceur d’une forêt aux ramures serpentines décharnées dont les entrelacs grouillent de personnages ambigus et de la grisaille d’un château forteresse moyenâgeux aux escaliers suintant l’humidité, la rouille et le trouble des sombres desseins. Ce climat cauchemardesque est de surcroît paradoxalement souligné par le blanc laiteux fantasmagorique qui revêt d’un halo les principaux protagonistes

Frédéric Boyer emploie pour le livret une écriture rythmée très poétique et très elliptique, trop sans doute car en prenant ainsi une grande distance avec le monde réel il nous en dit trop peu sur le Macbeth qui hante le monde présent et sommeille en nous. La soprano Tchèque Magdalena Kozena, remarquable dans une tessiture très aiguë nous donne de Lady Macbeth un visage inaccoutumé de femme amoureuse taraudée par le désir d’enfant autant que par le remords et la folie.

Le baryton autrichien Georg Nigl bien connu de la scène Bruxelloise, campe un Macbeth encore plus complexe qu’on ne l’imagine avec au début une part de féminité traduite par les mouvements du corps fugacement graciles et la voix subrepticement empreinte de fragilité aiguë pour mieux reprendre ensuite sa mâle fuite en avant, quête obsessionnelle du pouvoir par le crime. Le spectre, (Kristinn Sigmundsson imposante basse islandaise) et le portier (Graham Clark, ténor anglais) ajoutent, avec une belle prestance, leur part d’étrangeté. L’enfant (Naomi Tapiola, chœur d’enfants de la Monnaie) apporte une goutte d’eau fraîche sur la fournaise vocale attisée par un trio de sœurs bizarres, harpies frénétiques et suraiguës.

Paul K’ros

Macbeth Underworld opéra de Pascal Dusapin, direction musicale Alain Altinoglu mise en scène Thomas Jolly ; en Création Mondiale jusqu’au 5 octobre 2019 au théâtre de La Monnaie de Bruxelles