Les chroniques de JPM à La Chope

Marie-Pierre Feringue, comédienne et metteuse en scène

Publié le 29 janvier 2021 à 17:15

Il faisait froid dans La Chope désertée en ces temps de Covid. J’avais ramené une bouteille de 3 Monts. J’avais gardé mon cuir, Günther son pull rose, Marie-Pierre son manteau et sa casquette. Elle venait de quitter un tournage. Je l’ai alors laissée causer. C’était facile. Marie-Pierre aime bien parler. Elle a surtout beaucoup de choses à dire. « Je viens d’un milieu populaire. Mes grand-parents étaient paysans du côté de Bailleul. Ma mère était une ancienne bonne sœur, mon père coursier après avoir été légionnaire. À la mort de ce dernier, ma mère m’a élevée seule. Elle faisait des petits boulots et avait créé une association d’aide aux personnes âgées. » Marie-Pierre avait commencé des études d’éducatrice spécialisée puis « le théâtre prenait trop de place dans ma vie. Je l’avais rencontré à l’école en 6ème. J’avais fait des sketchs et j’ai vu que les gens m’écoutaient. J’avais une attention que je n’avais jamais eue ». À l’écouter, il était évident qu’elle avait la scène chevillée au corps. « Quand j’ai commencé à être professionnelle à 23 ans, je me sentais vieille, pas légitime pour faire ça, à cause de mon milieu sans doute. J’osais à peine entrer dans une salle de théâtre. Mais j’ai osé, au grand dam de ma mère qui pensait qu’en tant qu’éduc’, j’aurais un bon salaire. » Elle partait alors à Bruxelles, tenter le conservatoire, mais c’est à l’école de Lassaâd Saïdi, venant de l’école Lecoq, qu’elle découvre le travail sur le corps, l’improvisation, les masques. Alors que la bouteille se vidait, Marie-Pierre égrainait ses multiples expériences, qui allaient du Théâtre de la Licorne au Prato, en passant par la Vache bleue, rencontrée lors des luttes des intermittents en 2004. «  J’ai plusieurs famille dans ce métier. J’aime beaucoup le théâtre de rue. C’est offert à tout le monde, notamment à ceux qui, comme moi, ont du mal à renter dans un théâtre parce qu’il ne se sentent pas assez intelligents. » Marie-Pierre était intarissable. Elle est connue pour ça paraît-il. « En ce moment, j’ai envie de refaire des choses entre l’art et l’activisme, “l’art-civisme”, se frotter avec la poésie, des situations, amener une perturbation qui laisse de l’espoir, qui interroge, et en discuter spontanément avec des inconnus. » Marie-Pierre, outre le fait d’être une mémoire vivante de la scène des Hauts-de-France, avait toujours la même envie de jouer, sans toutefois cacher certaines déceptions. « Nous ne sommes pas animés par les mêmes choses. Parfois, je suis blessée. Je pensais que des metteurs en scène formant une équipe pour parler du pouvoir ou des inégalités échappaient à ce qu’ils dénonçaient. Ce n’est pas toujours le cas. Il y a parfois bien peu d’humanité. Une démarche artistique doit aussi avoir des valeurs. Je tourne actuellement dans la série Germinal. C’est un beau projet, l’équipe de production est formidable. Elle nous a parlé des liens entre l’œuvre de Zola avec les Gilets jaunes, des luttes de classe. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un paradoxe. Ce roman raconte des histoires terribles et pourtant, je me sens très privilégiée à côté des figurants. » Après lui avoir demandé par quoi elle voudrait finir l’entretien, elle hésita bien peu pour me dire : « Réfléchissons aux valeurs qui nous correspondent réellement. Malgré le profond désarroi qui m’assaille souvent sur ce monde qui veut toujours plus de profit au détriment des autres, je veux continuer à cultiver la joie, l’émerveillement, l’utopie, et l’espérance. » Il y a décidément de belles personnes dans ce métier.

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