Sortie de scène

Michel Piccoli tire sa révérence

par Franck Jakubek
Publié le 22 mai 2020 à 19:27

Il est parti le 12 mai dans sa 94ème année. Michel Piccoli laisse des centaines de films et autant de souvenirs de théâtre sur ses 75 ans de carrière. C’est un acteur engagé, à la CGT, mais aussi pour la paix, pour le progrès social, qui disparaît. De l’après-guerre aux années soixante-dix, les trente glorieuses, et l’arrivée de la gauche au pouvoir, Michel Piccoli fait, faisait, partie de nos vies.

Sa famille a attendu quelques jours avant d’informer la presse, via l’AFP. Nous avons tous appris avec une immense tristesse lundi 18 mai le décès de Michel Piccoli dans sa 94ème année. Nous oublions souvent que le temps emporte tout. « Le temps qui a passé ne m’a pas encore atteint. Je ne vis pas dans la nostalgie » confiait-il dans l’Humanité en 2007.

Depuis 1945, que nous le voulions ou non, Michel Piccoli faisait partie de nos vies. Nous voyons son chapeau lorsqu’il lève la tête pour répondre à Bardot dans Le mépris de Godard. Son regard étonné au volant de l’Alfa Roméo Giulietta Sprint lors de l’accident dans Les choses de la vie. Nous entendons son «  Il n’y a plus de sucre ! » dans le film éponyme où il campe un spéculateur sans vergogne. Le rôle du bourgeois, du patron, c’est celui qu’il endossa souvent. Le plus troublant dans Une étrange affaire, inquiétant, envahissant, destructeur employeur, qui marque de son emprise un jeune cadre dynamique et manipulé. Nous gardons en mémoire son magistral Hamlet à la tête de veau pour La grande bouffe. Il joue tous les rôles, sobrement, se coulant dans le costume. Mineur pour Louis Daquin en 1949 dans Le Point du Jour, ou pape chez Nanni Moretti dans Habemus Papam en 2011, il sait depuis le début que l’habit ne fait pas le moine.

Michel Piccoli, lors du concert de Jean Ferrat sur la grande scène de la Fête de L’Humanité, en septembre 1972.
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Par le regard, les attitudes, l’ancien élève du cours Simon vit la complexité comme un atout. Architecte, médecin, flic, patron ou voyou, préfet ou antiquaire, il campe le bourgeois sans forcer le trait, avec aisance. Le cinéma lui offre ses meilleurs rôles dans les années 60 et 70 avec Sautet, Fellini, Chabrol. Au cinéma, il n’y a que Delon qui peut se vanter d’avoir eu autant de fois que lui Romy Schneider dans les bras. Une complicité cinématographique qui fait tout le charme et la force d’un film comme César ou Rosalie.

Le théâtre avant tout

Les Lillois se souviennent avec émotion de son interprétation dans Minetti de Thomas Bernhard sur une mise en scène d’André Engel en 2009. Le même André Engel lui avait offert le rôle titre dans Le Roi Lear l’année précédente, un cadeau extraordinaire. Shakespeare aussi pour Avignon avec Luc Bondy pour Un Conte d’hiver dans la cour du Palais des Papes en 1988. Marcel Bluwal lui offre Molière pour la télévision avec Dom Juan en 1965, et sur les planches avec Le Misanthrope en 1969. Félicien Marceau, Jacques Audiberti, Tchekhov - sous la direction de Peter Brook -, Racine, Duras, Pirandello,… Tous les grands du répertoire, avec les meilleurs metteurs en scène, de Vilar à Chéreau, sur les plus grandes scènes, une carrière pleine dans une vie d’homme bien remplie. Un homme qui savait d’un clin d’œil saluer le passant qui le reconnaissait, calme et tranquille. Fidèle à ses idées, militant d’un cinéma populaire et d’avant-garde, il savait se faire aimer des metteurs en scène et du public. La complexité de son regard et la simplicité de ses attitudes l’ont protégé des écarts de carrière.

Son engagement a toujours été à gauche, il a soutenu Mitterrand en 81 puis Jospin en 2002. Membre du Mouvement de la Paix, d’Amnesty International, il a aussi longtemps participé à la direction du syndicat des acteurs CGT.

L’ancien mari de Madame Juliette Gréco, aimait la vie. N’oubliez pas d’écouter sa version du « Déserteur » de Boris Vian, enregistré sur l’album Autour de Serge Reggiani en 2002. Sur les chemins de la vie, il n’avait jamais quitté celui de l’amitié.

À voir et à lire cette semaine

> Depuis le 18 mai, les chaînes de télévision ont bouleversé leurs programmes pour diffuser des hommages au grand artiste disparu. Ne manquez pas ce dimanche 24 mai sur Arte à 20 h55, Les choses de la vie de Claude Sautet, suivi à 22 h 20 du documentaire « L’extravagant Monsieur Piccoli » d’Yves Jeuland. Également sur Arte, en replay jusqu’au 13 octobre, La belle noiseuse de Jacques Rivette. France 5 met à l’affiche lundi 25 mai Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre, à 20 h 55.

> Lire aussi le beau dossier que lui consacre le quotidien l’Humanité dans son édition de mardi 19 mai et sur humanite.fr.