© Simon Gosselin
Le songe d’une nuit d’été de Benjamin Britten

Mille et une nuits de malice étoilées

par PAUL K’ROS
Publié le 13 mai 2022 à 12:53

Le songe d’une nuit d’été, c’est un conte avec son lot d’imaginaire, de fantastique et j’ajouterais, pour cette histoire diablement emberlificotée écrite par Shakespeare vers 1595, un quelque chose d’abracadabrantesque. Certes l’adjectif en question est récent et surtout célèbre depuis qu’il a été cocassement popularisé par un ancien président de la République connu pour aimer flatter le cul des vaches au salon de l’agriculture, mais ce que l’on sait moins, c’est qu’avant lui, en 1871, le poète Arthur Rimbaud fut en quelque sorte l’inventeur de ce vocable figurant en bonne place dans son poème « Le Cœur supplicié ».

Une histoire abracadabrantesque

Ce double parrainage insolite du poète aux semelles de vent et du président friand de tête de veau me semble tout compte fait assez bien convenir pour évoquer les facettes multiples de la pièce de Shakespeare et de l’opéra de Benjamin Britten où se mêlent et s’emmêlent le surnaturel et le terre à terre, le féérique et le trivial, le pou-voir et la sujétion, la couleur changeante des mots chantés ou dits intimement associée à celle des instruments de l’orchestre et enfin la puissante attraction des images, surtout lorsque c’est Laurent Pelly qui assure la mise en scène. La scène, venons-y, c’est celle de l’opéra de Lille ; le spectateur prend place dan une atmosphère bleu nuit annonciatrice, sans qu’on le sache encore, des mille et une nuits de malice étoilées qui feront trois heures durant l’enchantement des yeux et des oreilles. Il fait d’abord nuit noire quand apparaissent, aériens, Obéron (Nils Wanderer, contre-ténor) et Titania (Marie-Ève Munger, soprano) respectivement roi et reine des fées, lui tiré à quatre épingles, le regard un rien méphistophélique, elle faisant va-loir la rondeur avenante de ses charmes et la fermeté de ses choix ; ces deux-là évoluent dans le firmament comme des poissons dans l’eau tout occupés à se disputer âprement la propriété d’un jeune serviteur au risque de lézarder leur union. Ils sont flanqués dans les airs comme sur terre d’un troisième larron, Puck, (Charlotte Dumartheray, comédienne), mi-lutin facétieux, mi-gnome piaillant, factotum zélé au service d’Obéron. C’est ainsi qu’il ira, vif comme un coup de foudre, détourner les sentiments amoureux de Titania et de deux autres jeunes couples par l’application d’un philtre magique sur la paupière des personnages endormis.

Laurent Pelly, maître des horloges astrales

Pour faire court, disons que Lysandre (David Portillo, ténor) aime Hermia (Antoinette Dennefeld, mezzo-soprano), laquelle répond à ses vœux malgré l’opposition de son père qui la pousserait volontiers dans les bras de Démétrius (Charles Rice, baryton), lequel n’attend que ça au grand désespoir d’Héléna (Louise Kemény, soprano) qui lui court après avec une ardeur débordante. Ce quatuor fait preuve par la voix et le geste d’une frénésie amoureuse exprimée en quelques magnifiques duos chantés ponctués de confidences sur l’oreiller, vite transformées en batailles de polochons. L’intervention malencontreuse de Puck dans les fourrés de ce labyrinthe amoureux ne fait qu’embrouiller encore plus l’écheveau des sentiments, mais rassurez-vous, au bout du conte le désir de chacun sera satisfait.

Il y a de la folie dans l’air...

Histoire de pimenter encore un peu plus les choses, Shakespeare fait intervenir en contrepoint une vaillante équipe d’artisans, gens du peuple habiles de leurs mains, comédiens du dimanche, empressés de répéter une pièce extraite des Métamorphoses d’Ovide ; dans cette escouade du petit peuple enflammée par un désir de théâtre à faire rêver, on trouve un tisserand, un charpentier, un raccommodeur de soufflets, un menuisier, un chaudronnier et un tailleur, tous animés d’une vigueur picaresque drolatique bien-faisante. La distribution est savoureuse à souhait, à l’instar du baryton-basse Dominic Barberi incarnant un Bottom hâbleur boulimique, voulant jouer tous les rôles, pour finalement échouer sur la couche nocturne de Titania, dénudé mais affublé d’une tête d’âne.L’image est d’une force comique et poétique à n’y pas croire et c’est l’occasion de dire toute l’inventivité de la mise en scène de Laurent Pelly, des étoiles plein les yeux, et la grande harmonie cosmique qu’il met en mouvement en maître des horloges astrales avec le savoir-faire métronomique de toute son équipe. Du bel ouvrage assurément. Les autres personnages, une bonne quarantaine, sont dans la fosse d’orchestre, instrumentistes de l’orchestre national de Lille, ils exposent sous la direction avisée de Guillaume Tourniaire les subtilités de la redoutable et géniale composition musicale de Benjamin Britten. Faut entendre ça pour le croire ; les cordes en pincent pour les amoureux, les cuivres cavalcadent aux côtés des artisans dont ils grossissent les traits burlesques. Bref, il y a de la folie dans l’air... et la vingtaine de jeunes choristes des Hauts-de-France (direction Pascale Diéval-Wils) y apportent avec bonheur leur vivacité de feux follets. À ne pas manquer...

Le songe d’une nuit d’été, opéra de Benjamin Britten d’après la pièce de William Shakespeare. Direction musicale : Guillaume Tourniaire avec l’orchestre national de Lille et le jeune chœur des Hauts-de-France ; mise en scène : Laurent Pelly. C’est à l’opéra de Lille jusqu’au 22 mai. Retransmission en direct dans 16 villes des Hauts-de-France le 20 mai à 20 heures.