Opéra

Mozart, le temps des Révolutions, #MeToo !

La Trilogie Mozart à Bruxelles jusqu’au 28 mars

par PAUL K’ROS
Publié le 28 février 2020 à 18:43

Imaginez derrière l’anodine façade d’un immeuble bruxellois de style classique trois étages à occupation variable, flanqués de deux escaliers latéraux dont un en colimaçon, le tout vivement arpenté, bruissant, fourmillant d’intrigues amoureuses, duperies, bons coups escomptés et coups tordus garantis. C’est qu’ici logent ou rôdent dans une promiscuité à haute densité sexuelle les protagonistes de trois grands opéras de Mozart : Les Noces de Figaro, Così fan tutte et Don Giovanni. Elles et ils sont 13 chanteurs de haut vol à mélanger les rôles, enflammer les désirs et sonner le tocsin des révoltes et révolutions féminines.

Pour que les choses soient claires, disons sans plus tarder que Peter de Caluwe, directeur du Théâtre de La Monnaie, et les metteurs en scène français Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil ont eu l’épatante et subtile idée de loger dans un fictif, mais bien nommé, 13, rue de la République à Bruxelles, la trilogie Mozart/Da Ponte, même temps même lieu, en 2020 à l’heure de la tornade « #MeToo ».

Les Noces de Figaro
© Forster

Ces trois œuvres majeures de la collaboration du compositeur autrichien et du librettiste italien, écrites et composées entre 1785 et 1790, au temps de la Révolution française et du mouvement des idées des Lumières, sont aujourd’hui tellement familières à nos oreilles que l’on pourrait en oublier le sens et la charge novatrice qu’elles avaient à leur époque.

En les inscrivant de plain-pied dans les réalités contemporaines, les promoteurs de cette nouvelle production sont fidèles au génie dérangeant du compositeur et, du même mouvement, conduisent le spectateur à découvrir autrement et réinterroger le monde d’aujourd’hui.

Plaisir intact de la musique et du chant, choc des images et des idées ; le pari est réussi et l’opéra en sort grand gagnant. Si, comme nous l’avons dit, les personnages des trois œuvres hantent en permanence la scène sous des habits neufs, chaque opéra est joué bien entendu dans son intégralité.

Disons donc quelques mots des Noces de Figaro, vu en premier. Le comte Almaviva (Björn Bürger), haut diplomate espagnol, fringant et sportif comme il faut, dont la vertueuse photo de couple familial s’affiche au vu et à l’édification de tous, n’en délaisse pas moins son épouse Rosina (Simona Saturova) pour s’adonner à de multiples ébats galants et grivoiseries dont la presse à scandale et la TV en continu font leurs choux gras.

Affaire rondement menée

Diplomatiquement écarté et muté ambassadeur à Londres, il entend profiter de l’occasion pour emmener outre-Manche son factotum Figaro (Alessio Arduini) et avoir ainsi les mains libres en vue de circonvenir Susanna (Sophia Burgos), fiancée dudit Figaro et servante de la comtesse, dont il convoite les charmes.

Faisant fi de leurs inégalités de classe et de la subordination de l’une à l’autre, la servante et celle qui l’emploie auront l’intelligence de faire cause commune, encouragées par d’autres par- tisanes du mouvement #MeToo, en conséquence de quoi la mâle assurance du viril plénipotentiaire sera cette fois mise à mal. Voilà le tableau.

L’affaire est rondement menée, tel un feuilleton de série télévisée, et le chef, Antonello Manacorda, s’y entend à diriger avec doigté et une fantastique précision les protagonistes circulant sur trois paliers et escaliers attenants, en totale intelligence avec le travail ciselé des musiciens de l’Orchestre de La Monnaie logés au deuxième sous-sol.

Du grand art chaleureusement salué par le public qui n’est pas en reste et doit lui-même exercer toute sa sagacité pour suivre en simultané les actions multiples qui s’offrent à sa vue (sur scène et sur écran) et à son entendement.

Les Noces de Figaro
© Forster

Il en va aussi de cette belle troupe de solistes vocaux. S’il nous est impossible d’évoquer chacun, on soulignera la performance du baryton italien Alessio Arduini qui a repris au pied levé le rôle de Figaro (en remplacement de Robert Gleadow, blessé) ou encore la dégaine irrésistible de la mezzo d’origine sicilienne, Ginger Costa-Jackson, en Cherubino, gavroche déluré prompt à épier et capter sur son smartphone toutes scènes intimes susceptibles de mettre un grain de sel dans les rouages et arcanes de l’amour.

De ce spectacle haut en couleur on retiendra encore le raffinement des costumes ainsi qu’une direction d’acteurs pétillante ajustée dans le moindre détail. Comme dans toute bonne série nous brûlons d’impatience de voir les épisodes suivants... C’est à La Monnaie jusqu’au 28 mars. Nous retrouverons toute cette belle distribution dans Così fan tutte et Don Giovanni. Ça promet !

Trilogie Mozart / Da Ponte (Les Noces de Figaro, Così fan tutte, Don Giovanni) direction musicale Antonello Manacorda, orchestre et chœurs de La Monnaie, mise en scène Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (Le Lab) au Théâtre de La Monnaie, Bruxelles, jusqu’au 28 mars. Infos et réservations : info @ lamonnaie.be / lamonnaie.be.