© Simon Gosselin
Les chroniques de JPM à La Chope

Nora Granowsky, metteuse en scène

Publié le 29 mars 2021 à 11:39

Ça aurait pu commencer mal. Nora voulait un whisky tourbé. Y’avait que de l’Aran de 12 ans d’âge à La Chope. Mais elle était pas bégueule. Et puis, on avait des amis communs. Elle connaissait le nom de tous les musiciens de Magma ! C’est pas banal. Elle pouvait me parler d’Exil on Main Street des Stones, album enregistré, pour ceux que cela intéresse, en 1972 à la Villa Nellcôte à Villefranche-sur-Mer. Et puis, elle avait grandi et appris le piano à Charbonnières-les-Bains, à côté de Lyon, région chère à mon cœur. Donc, ça collait bien. Je m’aventurais donc à lui poser des questions sur son passé. « Je sais pas trop d’où je viens. Je suis née à Paris, il y a un certain temps. Mais j’ai toujours déménagé à cause du travail de mon père commercial. » Elle est issue d’une famille d’artistes, un grand-père sculpteur russe d’origine ukrainienne, un autre peintre américain à Chicago, et une arrière-grand-mère organiste. « Si j’ai fait du théâtre, c’est que c’est un art inexploré dans ma famille. » Même si, enfant, elle écrivait des pièces pour jouer devant sa famille, son goût pour le théâtre vient peut-être de « ma grand-mère maternelle, prof de philo, passionnée de théâtre. Enfant, j’avais un abonnement à la Comédie Française. J’y allais tous les mercredis. Je m’y ennuyais parfois, mais j’adorais ça. » C’est aussi une prof de français qui lui faisait étudier des pièces contemporaines. Mais c’est la musique, à 15 ans, qui l’ouvrira sur le monde et lui donnera sans doute son langage théâtral. « Avec mes amis, on écoutait Aldo Romano, Henri Texier. On était addict [1]. » Depuis, la musique est sa compagne, même si elle me dit, devant son whisky : « Mon amant, c’est Jack Kerouac. » C’était cohérent pour un électron libre qui se joue des voyages et prône la liberté. Cohérent pour une artiste pour qui l’énergie de la musique se retrouve dans les mots, au théâtre. « Les mots doivent se travailler comme une partition, avec tempo, des accélérations, des pauses, des silences. Les textes sont des matériaux que je me dois traiter pour les faire résonner. J’essaye de travailler des textes dénués de psychologie. Ce travail sur l’énergie des mots correspond bien à mon schéma de pensée. » Nora me parlait beaucoup d’énergie, mais peu de sensible. Pourtant, j’avais l’impression que son travail était comme un retour à ses 15 ans, le Velvet, Bowie, Dylan. Cohérent aussi puisque sa dernière création fut Janis, autour de l’icône du rock Janis Joplin. Malheureusement peu jouée « et qui j’espère ne tombera pas dans l’oubli à cause du Covid ». Nous parlions musique, sans en écouter. C’était dommage de ne pas avoir la bande-son de La Chope, toujours fermée aux clients. Nora travaillait actuellement à sa prochaine création, Stevensongs, à partir des recueils de textes de Robert Louis Stevenson. « C’est le précurseur de la Beat Generation. On sera, tout comme avec Janis, dans la poésie. Mais il a écrit aussi des textes philosophiques. C’était quelqu’un toujours en mouvement. Ce sera un spectacle 99 % musical. » Cohérent je vous disais. Satellite de la vie culturelle lilloise, elle en est pourtant proche, tout comme elle l’est des occupations des théâtres. « Il est nécessaire de remettre la culture au centre du politique, de la cité. S’il n’y a plus de culture, c’est la fin de la civilisation. On va vers le fascisme. Il faut penser à l’homme nouveau. Mais j’ai du mal à faire partie d’un groupe. Je ne me sens pas à ma place dans des AG. Je suis militante, mais au quotidien. » Cohérente jusqu’au bout, Nora.

Notes :

[1Accro.