Jusqu'au samedi 18 mai à l'Opéra de Lille

Notre humanité mise à nu

Publié le 17 mai 2019 à 18:22

Présenté pour la première fois le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne l’opéra de Mozart La flûte enchantée est une sorte d’oratorio initiatique d’inspiration maçonnique mêlé d’éléments d’opéra- bouffe. L’esprit des Lumières et les grands idéaux de la Révolution française soufflent alors en Europe.

Présenté pour la première fois le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne l’opéra de Mozart La flûte enchantée est une sorte d’oratorio initiatique d’inspiration maçonnique mêlé d’éléments d’opéra- bouffe. L’esprit des Lumières et les grands idéaux de la Révolution française soufflent alors en Europe.

Deux cent trente ans plus tard, l’œuvre est devenue tellement célèbre que l’on en oublie parfois d’en interroger le sens pour se laisser simplement porter par la musique et les airs sublimes du compositeur de Salzbourg. Nous sommes d’autant plus redevables au metteur en scène Roméo Castellucci de nous en offrir, depuis quelques jours à l’Opéra de Lille, une lecture totalement neuve, dérangeante, sensible, profondément humaine et l’on apprécie qu’il emploie son talent créateur à réinscrire ce grand opéra dans les enjeux de notre temps

On est sous le choc !

Le premier acte se déroule dans un univers uniformément blanc, comme ouaté, traversé de fines particules de lumière, créant ainsi un environnement diaphane, sorte de meringue géante, au sein duquel les protagonistes en costume de cour du 18e siècle, blancs eux aussi de la tête aux pieds, se meuvent avec une précision horlogère tels les automates d’une boîte à musique d’un monde révolu. La musique et le chant envahissent pleinement l’espace, portés par une belle distribution internationale (Alexandra Olczyk la Reine de la nuit, Ilse Eerens Pamina, Tijl Faveyts Sarastro,Tuomas Katajala, Tamino, Klemens Sander Papageno, Tatiana Probst Papagena) pour ne citer qu’eux.

Pour ce deuxième acte, Romeo Castellucci convoque le monde réel avec les mots et les maux parmi les plus extrêmes en faisant témoigner « dix personnes de courage » cinq femmes aveugles et cinq grands brûlés qui tour à tour mettent à nu leur histoire singulière, leurs traumatismes, leur façon de surmonter les épreuves. Nous aurions volontiers fait l’économie de quelques lon gueurs parfois obscures dans le propos.

Questions sans réponses

La bonbonnière factice du début s’est évanouie laissant place nette à un plateau vide de tout ornement ; les témoins comme les chanteurs sont accoutrés de vêtements de grosse toile gris beige qui peuvent tout aussi bien faire office de combinaison de travail, de tenue carcérale ou d’uniforme de commandos ; divisés en deux camps, celui de la reine de la nuit sur laquelle Castelluci porte un regard privilégié mettant l’accent sur la douleur de la mère et celui de Sarastro. Ils sont employés, enrôlés à dresser ou faire tomber un mur entre eux. La musique de Mozart telle une rivière impétueuse malgré les obstacles suit son cours chargée d’alluvions et d’allusions nouvelles sous la conduite d’Elving Gullberg Jensen à la tête de l’Orchestre national de Lille.On s’en repart avec en tête plus de questions que de réponses et des images fortes dont on sait qu’elles ne vous lâcheront pas de sitôt. Ce spectacle superbe et exigeant a été suivi en direct par plusieurs milliers de spectateurs dans vingt-deux lieux de la région Hauts-de-France samedi dernier.