© Lucas Rahon
Venus’Erotica au théâtre du Nord

Plaidoyer au féminin pour sortir la tête du four

par PAUL K’ROS
Publié le 24 septembre 2021 à 16:27

Un corps de femme inerte allongé à même le sol la tête entière enfouie dans le four à gaz cependant qu’une voix off spatialisée égrène en boucle avec une régularité métronomique les 12 commandements (ou plus selon affinités) de la femme au foyer vis-à-vis de l’époux, maître de maison et de toutes choses en des temps domestiques que l’on pourrait situer ici dans les années cinquante puisque des flashs radio évoquent avec la même régularité fatale l’exécution sur la chaise électrique le 19 juin 1953 de Julius et Ethel Rosenberg, couple de juifs communistes new-yorkais pour motif d’espionnage supposé. La guerre froide et la mort lente et violente font ici un singulier ménage. Fort heureusement, nous sommes au théâtre du Nord au tout début de l’automne 2021 et la comédienne Solène Petit, tout juste sortie des trois années de formation de la 6ème promotion de l’école du Nord sortira également la tête du four où elle s’était fourrée en toute connaissance de cause pour les besoins d’une courte pièce intitulée Venus’Erotica qu’elle a conçue et interprète en forme de plaidoyer et variations sur des textes des romancières Anaïs Nin et Sylvia Plath. De la première, Américaine d’origine franco-cubaine, on connaît essentiellement les journaux intimes qui ont fait sa notoriété et ses relations amoureuses avec Antonin Artaud, Henry Miller, Lawrence Durrell (auteur du Quatuor d’Alexandrie dont Stuart Seide avait présenté une adaptation mémorable ici-même). Anaïs Nin est aussi l’auteure du recueil de textes érotiques Venus’Erotica, première incursion féminine dans un domaine littéraire jusque-là réservé aux hommes. La seconde, Sylvia Plath, prix Pulitzer à titre posthume en 1982 pour l’ensemble de son œuvre poétique, a été mariée au jeune poète anglais Ted Hughes et sa vie d’épouse, de mère, et de dactylographe des manuscrits de Ted ont pris en partie le pas sur sa propre carrière et vocation. Cliniquement déprimée, Sylvia avait écrit « Mourir/est un art comme le reste/j’ai pour cet art un talent exceptionnel. » Elle joindra le geste à la parole en mettant fin à ses jours en 1963, la tête dans le four de sa gazinière familiale. Solène Petit, bien décidée à n’en faire qu’à sa tête qu’elle a solide sur les épaules, regard noir pénétrant et voix ferme, brasse avec une vigueur parfois véhémente, rageuse, parfois avec un humour acide, la parole de ces deux femmes « marcheuses au bord du gouffre » tout en gardant bien à l’esprit ce vers de Sappho : « Quelqu’un plus tard se souviendra de nous. » Pour l’heure, saluons l’entrée dans le métier de comédien de Solène Petit et de ses compagnes et compagnons de promotion et nous leur souhaitons d’exercer avec cette belle ardeur leurs talents en nous donnant à voir le monde comme ils viennent d’en faire la brillante démonstration avec Henry VI de Shakespeare, mis en scène par Christophe Rauck, lequel signait ainsi ses adieux au théâtre et à l’école du Nord dont il a quitté cette année la direction.

Venus’Erotica, variations Anaïs Nin-Sylvia Plath, co-conception et création Solène Petit et Lucas Rahon, jeu Solène Petit. C’était au théâtre du Nord. Henry VI de Shakespeare, mise en scène Christophe Rauck, sur une traduction de Stuart Seide a été créé à l’Idéal Tourcoing-théâtre du Nord et sera en tournée au théâtre Nanterre-Amandiers du 15 au 24 octobre.