Portrait de famille sur les charbons ardents

par PAUL K’ROS
Publié le 15 mars 2019 à 10:20

La pièce Visage de feu, œuvre importante du théâtre contemporain signée Marius Von Mayenburg, est d’une troublante actualité et Pierre Flovia l’a fort bien mise en scène.

Olga (Marion Lambert) et son frère Kurt (Emile Felk-Blin).

Autour de la table familiale le père, Hans, ingénieur et surtout lecteur compulsif des faits divers scabreux ; la mère, au foyer, dont on ignore le Prénom comme effacé par les tâches ménagères ; le fils, Kurt, introverti, pubère tardif aux yeux des parents mais probablement frère incestueux, se raconte des histoires à n’en plus finir et les met à exécution avec la simplicité folle d’une allumette frottée sur le mur ; la fille Olga, ultrasensible à fleur de peau, en quête d’exutoire aux élans de son corps et aux insatisfactions de son âme juvénile.
Entre la vie banalement routinière des parents et l’angoisse existentielle des enfants un mur invisible d’incompréhension doublé d’une incapacité exponentielle à communiquer va engendrer une spirale de violence inouïe dont l’arrivée de Paul, l’Homme à la moto, premier ami d’Olga, va être le détonateur.
Cette pièce de jeunesse du dramaturge Marius Von Mayenburg est une véritable bombe à fragmentation composée de multiples morceaux éclatés, une succession en accéléré de séquences où l’humour dévastateur des situations ordinaires, la cocasserie grinçante des répliques banales agissent comme autant de clignotants annonciateurs du désarroi et de la tragique incapacité à vivre dans une société en plein bouleversement.

Une pièce kaléidoscopique

Kurt, pyromane froid, débite méthodiquement, jusqu’à la folie, ses pensées intérieures.

Pas facile de porter à la scène cette pièce kaléidoscopique ; Pierre Foviau s’y emploie et y réussit avec une habile maîtrise minutieusement ajustée en mettant les protagonistes à table (celle du repas familial), enchaînant sans rupture ni temps mort les séquences avec la vivacité d’un échange incessant façon ping-pong vocal de haute volée.
La tension monte, palpable, et le public compte les coups (les prends en pleine figure) de cette joute verbale très incarnée, ponctuée du va-et-vient des lampes de bureau individuelles qui éclairent ou laissent hors champ chacun des protagonistes. Marion Lambert (Olga) passionnée, vive comme la flamme, ondoyante comme herbe folle dévore des yeux ce frère qui la fascine, l’intrigue et l’inquiète. Émile Falk-Blin (Kurt), pyromane froid, demeure claquemuré dans ses pensées intérieures qu’il débite méthodiquement jusqu’à la folie. Marie Boitel (la mère) rompue aux vicissitudes du quotidien sermonne et vitupère son petit monde avec un esprit pratique non exempt de lassitude. Thierry Mettetal (le père) lunettes rondes pour mieux décrypter les petites annonces voyeuristes du journal ou se protéger des éclaboussures de la vie est inénarrable dans sa faconde enjouée ou colérique à débiter les lieux communs machistes. Adrien Desbons (Paul) campe un motard sans moto, beauf mais non dépourvu de lucidité.
La composition musicale d’Arnaud Lefin à la guitare participe pleinement à l‘intensité dramatique. La pièce résonne singulièrement d’une troublante actualité.

Visage de feu, de Marius Von Mayenburg, mise en scène et scénographie Pierre Foviau, assisté de Béatrice Doyen et Antoine Domingos, Cie les Voyageurs ; c’était à La Rose des Vents, scène nationale de Villeneuve-d’Ascq.