Départ volontaire, jusqu’au 26 mai au Théâtre du Nord

Règlement de compte… en banque

par PAUL K’ROS
Publié le 24 mai 2019 à 18:46 Mise à jour le 6 février 2023

Xavier, jeune cadre infatué de sa personne, gagne confortablement sa vie comme chargé des opérations « gros clients » au sein du service Finances et investissements d’une grande banque d’affaires internationale.

Convaincu de sa bonne fortune et de ses qualités entrepreneuriales, il saute à pieds joints, sans un soupçon d’hésitation, dans un plan de départ volontaire initié par la direction de l’entreprise pour cause de réorganisation, restructuration.

Xavier escompte bien toucher un gros paquet pour partir puis monter sa propre boîte à la seule fin de palper le maximum de fric dans un minimum de temps. C’est ce qu’il annonce, fier comme Artaban, à sa compagne Marion pour le moins dubitative et aussi à son meilleur ami Niels, plutôt étonné et réservé par la nouvelle, bien qu’il envisage lui aussi de changer de vie, mais de façon disons plus soixante-huitarde, en ouvrant une crêperie en Bretagne ou quelque chose du genre.

En attendant, les deux amis dissertent régulièrement au bar, autour d’un verre après l’autre, sous le regard désabusé de la serveuse. Xavier a aussi une maîtresse, Carole, par commodité réciproque, on peut dire les choses ainsi, puisqu’elle travaille à la banque, ce qui normalise les relations quand on y pense. De surcroît, bien que mariée, elle a du tempérament de reste.

Xavier a aussi une mère comme tout le monde, qu’il visite de temps à autre, pas trop souvent car il a honte de la pauvreté de sa famille et du passé ouvrier de son père, mort usé deux ans après la retraite ; quant à la grand-mère devenue un fardeau, qu’elle crève au plus vite ! Pour corser cette histoire somme toute assez banale, on découvre rapidement, c’est même par là que ça commence, que la candidature au départ, d’abord validée, de notre jeune cadre dynamique a finalement été refusée au motif d’un trop-plein de candidats ; son château de cartes s’effondre et le conduit à attaquer la banque au tribunal.

Un scénario réglé comme une pendule

La pièce s’attache donc à faire revivre les enchaînements d’un imbroglio professionnel et judiciaire révélateur des méthodes de gestion patronales comme des lenteurs de la justice avec son lot de dégâts collatéraux sur les individus, les relations familiales et professionnelles. Le texte de Rémi De Vos épingle avec un humour souvent sarcastique (et aussi parfois longueurs et superficialité) quelques-uns des symptômes préoccupants de l’évolution de notre société et des comportements individuels induits.

Christophe Rauck mène la ronde des séquences à alternance rapide grâce au concours de plateaux circulaires en mouvement, réglés comme des pendules. Cette rotation alternative s’accompagne de changements à vue des éléments de décor, appuyant ici les arguties tortueuses du conflit professionnel par des effets scéniques labyrinthiques et là l’effondrement intérieur du personnage principal, aux limites de la paranoïa, dans un espace scénique nu balisé par un fond de scène concave fait de troublants miroirs.

Un gagneur pitoyable !

Micha Lescot incarne un Xavier d’abord sûr de lui, mais dont le château de cartes va s’effondrer.
© © Simon Gosselin

À l’accompagnement sonore discrètement métronomique du début comme scandant les minutes du procès succédera pour les scènes finales une spatialisation caverneuse des sons et des voix amplifiant le désarroi du pitoyable héros de l’affaire. Micha Lescot, superbe, incarne un Xavier d’abord sûr de lui jusqu’au bout des doigts, qu’il a expressifs comme une danseuse de flamenco. D’une volubilité hautaine de gagneur, il laisse rapidement apparaître un piteux fond de veulerie jusqu’à totale déliquescence.

Face à lui, Virginie Colemyn incarne tour à tour une Marion indécise au charme discret et à l’accent traînant, une Carole maîtresse rentre-dedans et une serveuse à l’indifférence bien balancée. Annie Mercier en impose autant, si ce n’est plus, dans son rôle de mère fièrement gouailleuse que dans celui de présidente du tribunal.

David Houri n’a de cesse de troquer la robe d’avocat de la défense contre la perruque frisée de Niels, l’ami de toujours qui, sait-on jamais, verrait bien son avenir aux côtés de Marion. Stanislas Stanic jongle avec six rôles et autant de changements de veste, ce qui a de quoi le rendre totalement crédible dans sa fonction de syndicaliste maison. Plusieurs scènes et répliques se révèlent particulièrement piquantes et savoureuses. Nous vous laissons les découvrir. Paul K’ROS

Départ volontaire, de Rémi De Vos, mise en scène Christophe Rauck, jusqu’au dimanche 26 mai au Théâtre du Nord, à Lille. Tél. : 03.20.14.24.24 Théâtre du Nord