© Antoine Mériaux
Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Anaïs Gheeraert, comédienne

Publié le 29 octobre 2021 à 13:29

Buvant un thé à la menthe, Anaïs était déjà là, discrètement installée sur la table du fond de La Chope, celle d’où l’on voit tout le monde en se faisant oublier. J’étais presque gêné de la déranger, troubler sa quiétude. Elle observait les habitués, réunis autour du comptoir en ce début de matinée pluvieuse. « J’aime bien faire ça, me dit-elle, je passe souvent des journées dans les bistrots à observer. » « Observatrice du monde », c’est ainsi qu’elle se définit avant de me raconter son parcours. « Je suis née à Saint-Omer, d’une famille de classe moyenne qui ne m’a pas particulièrement initiée à l’art. » Après le bac, elle étudie la science du langage puis travaille dans un centre de revalidation neurologique suite à des AVC. « C’est alors que l’on m’a proposé de développer mon travail de façon plus artistique. Je me suis inscrite à mes premiers cours de théâtre. J’ai senti tout de suite que j’avais ma place sur un plateau. » Après le conservatoire de Roubaix, puis de Bruxelles, elle étudie avec Natalie Yalon. « Elle développait un travail sur la présence de l’acteur, sa disponibilité au monde, sur l’état d’enfance. Que le plateau soit une grande plaine de jeu. On parlait philosophie aussi. » Tout en me parlant d’elle, Anaïs avait toujours un regard sur les copains commentant l’actualité du matin. « Je trouvais que je n’avais pas le bagage culturel. Mais je me nourrissais de tout, très vite, l’appétit était très fort d’apprendre. J’avais une nature universitaire. J’aime étudier et j’aurais pu rester longtemps sur les bancs de l’université. Mais le théâtre m’a appris un nouveau langage, celui du corps. » L’actualité d’Anaïs ressemble à un inventaire à la Prévert. Ce sont des tournages, beaucoup pour la télévision (Les petits meurtres d’Agatha Christie, entre autres) ; ses répétitions avec Stéphanie Constantin avec la compagnie Les vagabondes, « Le clown, je m’en sens proche, c’est un poème sur patte » me dit-elle ; les répétitions avec la compagnie Les Bourgeois de Kiev et Antoine Suarez-Pazos. « Je m’ennuie vite dans la vie, il faut que je sois toujours en mouvement. » C’est sans doute pour cela que, il y a un an, entre les deux confinements, Anaïs a traversé l’Espagne d’est en ouest, 800 kilomètres à pied, pour revenir avec un documentaire d’auteur, Les âmes fortes. « Je voulais marcher, utiliser mon corps. J’ai pris une caméra et je suis partie interroger les gens sur ce qui “les rendait vivant”. J’ai marché un mois pour descendre à Saint-Jacques-de-Compostelle. Je voulais que le film soit un melting-pot de rencontres. Mais mon film est surtout la rencontre de Pierrot, vieux monsieur de 78 ans, agriculteur, philosophe, poète. Il n’était jamais sorti de son village. Il avait eu un cancer et s’était promis que s’il guérissait, il irait à Saint-Jacques-de-Compostelle. »  Mais elle s’attelle déjà à son prochain projet. « Suite à des impros, je faisais jouer à des enfants des rôles d’experts répondant à des questions du monde. » Cela lui a donné envie d’imaginer La Minute existentielle, une série de films philosophiques et poétiques avec des enfants. « “La métaphysique, ce sont des adultes qui cherchent à répondre à des questions d’enfants”, disait Kant. Je suis en contact avec Frédéric Lenoir, je me forme aux ateliers philosophiques et je cherche des producteurs. » Anaïs, en se réservant un thé à la menthe, m’avait dit qu’elle voulait arrêter de « surfer sur la vitesse du monde », que « personne ne regarde plus personne, tout le monde à peur ». Alors je l’ai laissée. Elle a continué à regarder avec bienveillance les copains de La Chope qui ne s’en rendaient même pas compte. Les cons.