Les chroniques de JPM à la Chope

Rencontre avec Anne Conti, comédienne et metteur en scène

Publié le 12 juin 2020 à 18:59 Mise à jour le 15 septembre 2020

Aujourd’hui déconfiné, JPM vous propose une série de portraits d’artistes, bien réels eux, sous forme de rencontres imaginaires à La Chope, qui a enfin pu rouvrir sa terrasse le 2 juin pour y accueillir ses habitués, que l’on commence à bien connaître...

« Il est à qui, ce chien handicapé ? », me demande Anne Conti en s’asseyant au comptoir de La Chope déjà bruyante. « À moi. Il s’appelle Günther » que je lui dis. « Il est super moche ! » répond-elle en s’esclaffant. Il n’en fallait pas plus à Samir pour lui offrir un café et François de râler du fond de la salle : « Il est pas moche. Il est juste la preuve vivante que Dieu n’existe pas ! » Anne me raconte qu’elle aussi avait un chien, un croisé Braque/Labrador. Manifestement, Günther et ses roulettes de paralysé du cul ne faisaient pas le poids, même s’il avait récemment trucidé un Rottweiler. Je me disais que l’on n’allait pas passer l’après- midi à parler clebs, d’autant plus qu’Anne avait commencé sa carrière de comédienne sous le signe du piaf. Premier tournage à 21 ans pour un pub pour la laine à tricoter Pingouin, « un vrai bizutage pour la jeune actrice que j’étais », et son premier spectacle sur scène déguisée en oiseau au conservatoire de Lille. Pour un « piaf tombé du nid », on ne pouvait que bien s’entendre. Anne Conti s’est retrouvée sur les planches par passion, abandonnant sa carrière d’éducatrice spécialisée. « J’ai très vite tourné la page, mais je me sers encore de cette expérience. Cela me nourrit. J’en garde une réelle facilité pour aborder des gens différents. Pour créer des personnages, leur façon de bouger, de parler, c’est essentiel à mon travail de comédienne d’observer, d’être curieuse de l’autre. » En buvant son café, Anne devint intarissable sur son travail. Des passionnés, il y en a plein La Chope, mais Anne avait cette volonté de bien se faire comprendre, de chercher les mots justes qui traversaient le bar et dont les clients ne perdaient pas une miette. Samir avait même baissé la radio. « Ce qui m’ intéresse, c’est les mots, la poésie, l’écriture contemporaine, la langue, son rythme, sa musicalité, retranscrire les battements de cœurs et le souffle de son auteur. J’ai découvert tout cela avec la Compagnie Théâtre en Scène. Puis avec Jacques Bonnaffé. C’est pour cela que j’aime travailler avec des musiciens pour mes mises en scène, pour le rythme. » Elle avait quitté son cuir pour être plus à l’aise. Un silence religieux s’était fait dans La Chope. Anne ne s’en rendait pas compte. J’avais l’impression d’avoir tiré un fil dont je ne voulais pas voir la fin. Même Günther eut la décence d’aller à la porte pour lâcher un vent. Anne a lancé en 2005 sa compagnie In Extremis pour créer Stabat Mater Furiosa de Jean-Pierre Siméon. « Je prépare actuellement mon cinquième spectacle, Zoom avant, adapté de BD de Fabcaro. Ce type dépeint le monde, la société, le couple, la politique, mais toujours avec un humour décalé. Ce spectacle sera joué au Channel à Calais en novembre. Je ne crée pas souvent. Je ne fais des spectacles qui si j’ai quelque chose à dire, si cela me paraît essentiel. » « S’il y a de l’essentiel, il y a donc de l’inessentiel ! Et c’est tragique. Il faut combattre l’éparpillement, le vain » s’exclame Sergio en commandant son café. Toujours encline à la rencontre, Anne allait engager une conversation avec lui mais foutre mon interview en l’air. « Et la politique ? » que je lui lance. « Ma grand-mère est une vraie militante. Elle m’a inculqué cette envie de vouloir faire en sorte que tout le monde soit heureux. C’est pour ça que j’ai des engagements politiques, syndicaux. J’ai fait ma première manif à 13 ans. Je ne suis pas sûre que le théâtre change le monde. Les spectateurs sont déjà convaincus. Mais pour les jeunes, il offre une ouverture, un curiosité, un questionnement. » Anne m’avoua vouloir écrire un roman, et faire un tour de chant. Puis elle me dit finalement « au revoir ». Après son départ, l’écho de ses mots passionnés résonnèrent encore longtemps à La Chope avant que les conversations ne reprennent. Ses derniers mots furent : « Tu sais, il est mignon Günther ! » Classe jusqu’au bout.