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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Anne-Marie Storme, autrice et metteuse en scène

Publié le 18 mai 2021 à 12:27

« D’où tu viens ? » Rarement j’ai commencé un entretien de la sorte. Quelques gosses jouaient autour de l’arbre de la place Louise-Michel. Günther rongeait un vieux bout bois. Assise sur le banc, Anne-Marie m’a répondu de suite, comme si cette question était primordiale pour comprendre son travail. « Je suis lilloise, née d’un père français et d’une mère allemande. Elle était indépendante, ne voulant pas d’enfants. Elle était promise à de brillantes études. Par amour, elle a tout abandonné pour devenir “femme au foyer” et mère de trois enfants. Elle me préparait à cela. Mes cadeaux étaient des ustensiles de ménage, jamais des livres. La seule chose qu’elle voulait me transmettre, c’était la cuisine. J’ai toujours eu l’intuition qu’elle était malheureuse. À sa mort, j’ai appris qu’elle ne voulait pas d’enfants. Elle s’est sacrifiée pour nous mais l’a fait payer. Par opposition à elle, j’ai eu quatre enfants, tous désirés. » Sa fratrie considérait qu’Anne-Marie était la moins intelligente de la famille, jusqu’à s’étonner qu’elle ait le bac. « À Roubaix, j’étais dans la classe des jumeaux Desplechin. J’étais meilleure qu’eux ! » dit-elle en riant. « J’entrepris des études d’infirmière. La douleur physique des autres m’était insupportable. J’étais bonne en théorie, nulle en pratique. » Après son diplôme, elle fait des stages à l’hôpital. « C’était il y a 30 ans, mais déjà le manque de moyens en personnel et de moyens financiers était évident. » Elle travaille alors aux urgences, puis au SAMU, où lui reste gravée l’image d’une plaie couverte de vers d’un SDF. Mais le temps lui manquait pour faire pleinement son métier, ne pouvant donner ce réconfort qui lui semblait essentiel. De déceptions en déceptions, elle jette alors l’éponge pour se consacrer pleinement à ses enfants. C’est à 35 ans qu’elle découvre le théâtre : « J’ai trouvé par terre une petite annonce pour des ateliers de théâtre. J’ai essayé. Ce fut la révélation. » Cette passion découverte tardivement, elle va l’approfondir en faisant des stages, en allant voir beaucoup de spectacles : « C’est ainsi que j’appris, en regardant les autres. Comédienne, je n’avais aucun plaisir sur le plateau. J’ai commencé à écrire mes propres textes. Personne ne voulait les monter, alors, je l’ai fait moi même. » Elle ne se dit pas écrivaine : « Je n’écris que lorsque quelque chose m’est insupportable, comme une soupape. C’est pour cela que mes textes sont toujours graves, souvent dérangeants, même si j’adorerais monter du comique. » Après avoir écrit sur la prison, la prostitution, le Bataclan, la canicule de 2003, toujours portée par une écriture poétique mais documentée, Anne-Marie s’apprête à tourner son premier court-métrage Safe Land, pour lequel elle fait une souscription. Dans cette fable d’anticipation soutenue par Le Fresnoy, elle parlera d’amour et de pandémie. Encore une fois, ce besoin de raconter ce qui la touche, la révolte, comme si sa carrière d’infirmière avortée la poussait à aider l’autre, par son art et son écriture. Les enfants quittaient le parc. Günther dormait à côté du bout de bois mâchouillé. Elle me dit : « J’aimerais que les artistes puissent bosser. C’est contradictoire, mais je soutiens à fond le secteur médical. La réouverture des petits lieux de théâtre reste dangereuse. Contrairement aux lieux plus importants, ils ne peuvent avoir de ventilation efficace. Les prochaines manifs doivent être pour défendre la santé. C’est un droit commun à tout le monde. On ne peux bosser que si l’on a la santé. Hôpital public pour tous ! »

Plus d’infos : theatredelinstant.fr.