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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Céline Dély, comédienne

Publié le 18 juin 2021 à 17:17

Elle pose ses accras légumes-crevettes et sa Pils sur la table, me fait remarquer qu’un escargot remonte le bac à plantes de La Chope, me dit la bouche pleine qu’elle sort de scène, sans même poser un regard sur mon chien qui pourtant en fait des caisses pour se faire remarquer. Tout ça en quinze secondes. Les quinze suivantes sont un résumé de ses origines : « Je suis née à Bruxelles, d’une mère bangali débarquant à 25 ans en Belgique avec son master de chimie en poche, et d’un père humanitaire au Bangladesh.  » Une gorgée de bière. Je voulais poser une question. Pas le temps. Elle semblait l’avoir devinée : « Ma mère avait une conscience de classe. Pour elle, l’éducation était importante. Très jeune, j’étais inscrite à l’Académie des Arts de Bruxelles, apprenant la musique. À 12 ans, j’ai intégré la formation théâtrale. » Céline reprend un accra et regarde l’escargot qui remonte une tige desséchée de ficus. Un silence. Elle me regarde avec un grand sourire. «  J’ai eu la chance de suivre la classe de Sylvie Steppée, où la notion de plaisir du jeu était au centre de la formation. Elle accueillait des personnes singulières, pas normées. Elle expérimentait, travaillant beaucoup sur l’autonomie. C’étaient les “ateliers d’applications créatives” où nous devions créer un spectacle de A à Z. Il y a avait une dynamique collaborative. C’était très belge, directement issus du Tg Stan, privilégiant l’idée de collectif d’acteurs, l’absence de hiérarchie au sein de la compagnie. » Une gorgée de bière. L’escargot bave, mon chien aussi. J’attends la suite de l’histoire de Céline. Je l’écoute me parler de son entrée à l’Institut des arts de diffusion à Bruxelles juste après son bac. Elle me raconte y avoir pleuré pendant un an, car « on n’y apprenait pas le théâtre, mais à être comédien ». Son départ pour Paris, sa rencontre avec Bernard Grosjean, qui l’embauche dans sa compagnie « Entrées de jeu » où elle restera huit ans. « Je considérais déjà l’art dramatique comme un outil au service d’un propos, de luttes, notamment de luttes de classe. À cette époque, j’étais consternée par l’intelligentsia parisienne qui nous considérait comme des sous-comédiens parce que l’on faisait du social. En parallèle, j’étais à la fac, préparant une maîtrise de pédagogie de la transmission théâtrale. » L’escargot poursuit sa marche, Günther roupille à mes pieds et Céline reprend une bière : « Je suis arrivé sur Lille en 2010 et travaillais, avec Dominique Surnais, Sophie Boissière, HVDZ, Bruno Lajara qui m’a ensuite integrée à l’Envol » Céline mange le dernier accra, finit sa bière, regarde l’escargot, reste quelques instants silencieuse puis me dit : « J’en reviens à mes début. À rechercher le collaboratif, reposer la question du pouvoir dans une équipe artistique. Et puis toujours cette idée des luttes que j’avais hiérarchisées. 1/ Lutte des classes, 2/ Antiracisme, 3/ Féminisme. Aujourd’hui, l’ordre ne serait peut-être pas le même. Christine Angot répondait à une question sur comment lutter contre l’inceste. Elle a répondu que ce n’était pas le problème mais plutôt celui du pouvoir et de la fascination que l’on a pour la domination masculine, qu’elle soit politique ou intime. Toujours le pouvoir !  » Avant de partir, Céline me donne rendez-vous à Avignon où elle jouera Jo et Léo avec le collectif La Cavale, ou à Amiens dans 39,8 °C : Nouvelles du front de Camille Faucherre et la Générale d’Imaginaire. Ou en tournée l’année prochaine dans Lettre à Nour de Rachid Benzine. Céline est partie. L’escargot aussi. J’ai pas vu le temps passer.

39,8 °C : Nouvelles du front du 5 au 9 juillet, dans le cadre du festival La rue est à Amiens. Plus d’infos : lageneraledimaginaire.com. Jo et Léo, théâtre du Train Bleu à Avignon à 16 h. Plus d’infos : collectiflacavale.fr.