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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Charlotte Talpaert, comédienne

Publié le 19 avril 2021 à 11:19

14 h. La Chope, vide évidemment. Günther regarde la pluie. Il déprime ce chien. « Tchin Charlotte » devant un verre de whisky d’Arran. Elle regarde mon clebs avec tendresse. Ça le flatte. Elle me parle du sien, avec qui elle a fait Saint-Jacques-de-Compostelle, et de ses deux souris. Elle me parle ensuite de sa grand-mère, Jenny Clève. « J’ai gardé d’elle la même façon d’apprendre mes textes en les recopiant. Elle me payait les droits d’inscription pour le conservatoire de Roubaix. Elle était touchée que je fasse la même école qu’elle. » Charlotte a toujours voulu faire du théâtre. Au CP, primaire, collège, lycée. « Je suis une enfant du Channel de Calais. J’y passais mes journées quand je n’avais pas cours au lycée. Ce fut là mes premiers chocs de théâtre à 15 ans. Ilka Schönbein, Art Point M. » Puis, ce fut la fac théâtre. Elle jouait, étudiait la scénographie, la mise en scène, la dramaturgie. « J’ai beaucoup appris avec Jean-Marc Lanteri, avec Yannick Mancel. Je découvrais Sarah Kane, me passionnais pour le théâtre populaire. Ma grand-mère venait de là, elle me parlait de ses tournées avec le Théâtre populaire des Flandres, de cet idéal républicain qu’était la culture. » Son théâtre, c’est le « in your face [1] » celui de la colère, des coups de gueule, sans concession, sans filtre, un théâtre qui lui va tellement bien. En 2009, elle créé sa compagnie « Les chiennes savantes » avec Veronika Boutinova. « Nous avions monté Fuck you Europa [2], notre façon de dire que l’on se faisait aussi bien avoir par l’Europe que par le communisme. Nous avions joué à Avignon. Je faisais la parade assise sur des chiottes en lisant Télérama devant le Palais des papes. » Charlotte aime jouer, tous les genres, avec tous les metteurs en scène. « Il m’est arrivé d’être déçue. Je voyais des metteurs en scène cool, libres. Je les admirais. Mais je me suis rendu compte qu’ils avaient une famille fortunée. C’est facile d’être libre quand on n’a pas de problème d’argent. Depuis mon premier cachet, déguisée en Donald à la parade de Noël à Coudekerque-Branche, j’ai commencé avec Vincent Goethals. Je viens de travailler avec Anne-Marie Storme, et depuis quatre ans à la Comédie de Lille, payée deux euros de l’heure, mais je m’en fous. Les gens viennent au théâtre comme pour aller à une fête. Mon seul critère de sélection est que les textes ne soient pas machos, sexistes, racistes. » Charlotte sera à Avignon cet été avec deux pièces : Vegan ou presque, une conférence gesticulée sur l’antispécisme, et L’homme qui plantait des arbres adapté de Giono, transposé dans une ZAC. Devant un whisky, il est difficile de ne pas parler de ses engagements politiques, venu sans doute de son enfance à Calais où elle voyait arriver les premiers migrants. « Je suis toujours en colère. Je suis à EELV. Un jour, j’ai vu Eva Joly lors de la présidentielle. Je suis tombée amoureuse de cette femme. J’ai alors pris ma carte. Parfois, on y entend des conneries, mais cela permet de débattre. Je suis aussi avec L214. Pas facile. Dans ma famille, personne n’est animaliste. Quand je vois de la viande à table, j’ai l’impression que l’on va manger un ami. » Je vois Günther qui la regarde, admiratif. Il comprend tout mon chien. J’aurais bien aimé que La Chope soit ouverte, que je présente Charlotte aux copains. Ils y auraient moins perdu leur temps. Elle leur aurait dit d’autres colères : « Défense de l’assurance chômage. J’en ai marre que l’on flippe de pas pouvoir bosser, de ne pouvoir payer son loyer. Salaire universel pour tous ! » C’est parfois dur, mais les colères, ça aide à vivre. « Tchin Charlotte. »

Notes :

[1Dans ta face.

[2Va te faire foutre Europa.