Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Dominique Sarrazin, comédien, metteur en scène, auteur

Publié le 6 janvier 2022 à 18:43

On s’est pris un whisky Arran au comptoir de La Chope. Mais ça, je ne vais pas l’écrire. Y’a plus important. Dominique est né à Beauvais, d’une famille simple et autodidacte, issue de vachers illettrés, accédant à la classe moyenne dans les années 50. Puis c’est un pensionnat religieux, avec des curés réacs en soutane et sans doute pédophiles, « ils ne m’ont pas touché, je n’étais pas beau », et d’autres progressistes, aimant Rimbaud, Apollinaire et le cinéma. « Il y avait que des mecs, que des rapports de force. J’étais maigre et myope, j’étais traité de “PD” par certains. Avec d’autres on écoutait Françoise Hardy, les Animals. » Son père aimait le jazz, le cinéma, le théâtre amateur. Il disparaît tragiquement alors que Dominique avait 16 ans. Ce dernier arrive alors à Lille, ne connaissant personne. Il passe son bac en 1968. « Cette période m’a fait oublier le deuil personnel. J’y noyais mon chagrin et la France avait le même âge que moi. On passait du noir et blanc à la couleur. Cela n’empêchait pas le chagrin, mais j’ai rencontré à cet époque les gens d’Hara-Kiri, les Wolinski, Cabu, Reiser. Je n’étais pas pote avec les Mao, mais plutôt avec les jeunes communistes-anars et humour. Mon deuil s’est noyé dans ces rencontres. » Je me demandais ce qui n’était pas important dans les paroles de Dominique. Comment faire l’impasse sur la compagnie amateur « La baraque foraine » alors qu’il était en filmologie à la fac ? Ils étaient issus des comédiens routiers de 1936, sillonnant les routes en vélo avec le décor, à jouer plusieurs fois jours des auteurs comme Vian, Obaldia. Encore des rencontres : son prof, Pierre Vanacker, l’école de théâtre sur le tas, « mon premier grand rôle fut Sganarelle. Et surtout, il y avait des filles, dont une qui sera la femme de ma vie ». C’est grâce à René Pillaud et Gildas Bourdet qu’il deviendra professionnel. En 1980, il crée le Théâtre de la découverte. De la tournée, beaucoup. Il y en avait du beau monde, Etore, Annick, Catherine, Annie, Marie-Jo et dix ans plus tard, la compagnie occupait un ancien atelier de construction de théâtre. Cela deviendra le théâtre de la Verrière à Lille. « On a récupéré des projos, des gradins, des costumes. On a fait un théâtre qui a coûté le prix des chiottes d’un théâtre national. » En janvier 1992, pour l’ouverture, il y présentait Quatre fois courage, quatre spectacles d’une heure autour du bonheur avec des comédiens de 18 à 72 ans. Le soir même, à l’entrée des spectateurs, un coup de fil. Etore annonce la naissance de sa fille. Dominique me dit cela avec une réelle émotion. C’est important de la dire. C’est important, l’émotion. Parler aussi du rôle de l’éducation populaire. Tout comme il est important de dire que Dominique se qualifiait de bâtard, n’étant dans ce métier légitime que par son travail, sa grande gueule aussi, de son rapport avec les compagnies. « Je voulais un lieu de rencontre militant. C’est l’esprit du lieu. La militance y est importante. » Il avait quitté la Verrière et espérait que ce lieu reste « une petite épicerie d’art frais ». Alors que je me demandais comment écrire tout cela, il me dit : « Ne pas plier. » J’avais trouvé l’essentiel pour parler de lui.

Les 30 ans de la Verrière, c’est le 22 janvier, 28, rue Alphonse-Mercier, à Lille. C’est toute la journée, y’a plein de trucs et c’est gratos. Pour en savoir plus : verriere.org.