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Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Esther Mollo, metteuse en scène

Publié le 2 avril 2021 à 16:16

« Un café très serré » me demanda Esther. J’aurais dû m’en douter. Elle était née à Turin. Sa mère était médecin. Son père était journaliste à L’Unità après avoir été résistant à 16 ans au sein des Brigades de Garibaldi en 1942, puis syndicaliste dans un haut fourneau. « J’ai grandi avec deux parents engagés politiquement. Ma première photo de manif, je dois avoir 3 ans. Je me souviens de mon père parlant de l’enthousiasme et la volonté des intellectuels de l’après-guerre à vouloir refaire un monde meilleur. Le soir, il mangeait parfois avec Pasolini, Guttuso. Je suis presque contente qu’il ne voit pas le monde d’aujourd’hui. Il serait très triste. » Ce fut une enfance bien éloignée du monde de l’art. « J’ai découvert le spectacle vivant via la danse. Petite, je regardais les ballets à la télé. Je me mettais devant l’écran et refaisais les mouvements. J’adorais ça. N’étant pas très adroite, ma mère m’a inscrite à un cours de danse. J’ai continué de façon plus ou moins sérieuse. Puis j’ai pris des cours de théâtre. C’est sur les conseils d’une professeure que j’ai fait un stage avec le mime Marceau. Ce dernier m’a alors invitée à venir à son école et c’est ainsi qu’après le bac, je me suis retrouvée à Paris, sans parler un mot de français. » En l’écoutant, il était évident qu’Esther avait hérité de la volonté de son père, une pugnacité propre à ceux pour qui la vie est un engagement, fait de certitudes et d’exigences. « C’est la technique Decroux qui m’a faite. En sortant de l’école je me suis concentrée sur le chemin de la théâtralité du mouvement, qui est devenu la base de mon travail. » Habitant Paris, Esther fut produite par un théâtre turinois, alors qu’elle présentait une émission à la Rai. « À Turin, j’avais une vie confortable, on voyait ma tête dans le Télé 7 jours italien. » En rentrant sur Paris avec son compagnon, elle se rend compte que beaucoup de choses ont changé. Voulant quitter la capitale, c’est par hasard qu’elle débarque à Lille en 1999. « Je ne connaissais personne, n’avais aucun contact. Puis je me suis séparée de mon ami. Tant pis, j’ai décidé d’y rester et de créer le Théâtre diagonale. » Alors que l’on pourrait croire que le travail d’Esther est avant tout sur le corps, la pantomime « que je déteste », il va bien au-delà. Elle travaille avec des auteurs comme Ricardo Montserrat et prépare actuellement son prochain spectacle avec Audrey Chapon qui s’appellera Gina Roland, le panier à linge et moi. « On veut parler de la femme, de son intérieur, des carcans dans lesquels elle est enfermée. Une femme sous influence de Cassavetes montre une femme qui n’est pas folle, mais différente, qui lutte contre les stéréotypes. Dans Opening Night, il est question des actrices et de leur âge, leur rapport au corps. Nous voulons parler de tout cela. » Depuis dix ans, Esther travaille également sur le lien entre le corps et les nouvelles technologies. « J’ai écrit un mémoire sur l’acteur augmenté, comment les nouvelles technologies vont nous faire jouer sur un plateau. On collabore de plus en plus avec des gens proches des sciences. Actuellement, j’expérimente avec David Ayoun, performeur et plasticien, sur l’idée du corps utopique. Cela donnera vie à une performance de réalité augmentée autour du texte de Borges, Les ruines circulaires. » Devant un dernier café, avant de se quitter, Esther me dit : « J’en ai mare du streaming, des visios. Le spectacle vivant, c’est du corps à corps, pas du corps à image. » Rien à ajouter.

Plus d’infos : theatrediagonale.com.