© Dorothée Sarah
Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Julien Bucci, comédien et auteur

Publié le 18 mars 2022 à 15:40

l sortait d’un atelier d’écriture avec des jeunes décrocheurs scolaires. « Pour eux, écrire n’est pas évident. Alors, on a travaillé sur la cartographie de leur chambre. » Julien aimait les gens, et avait manifestement des choses à dire. Le temps de commander un Chablis, poser son sac sur la banquette, et il me racontait être de Grenoble, qu’à 15 ans, sans y être prédestiné, il découvre le théâtre grâce à une professeure. « On a vu 40 pièces en un an. » Il intègre une compagnie amateure. « J’ai de suite aimé l’émulation, la dimension humaine autour d’un projet de création, le soutien, la bienveillance, le respect. J’avais une adolescence solitaire, pas très a l’aise avec les attributs de la virilité. J’avais des expériences sociales assez humiliantes parce que pas dans la norme. Par le théâtre, j’avais la possibilité d’être reconnu tel que j’étais. » En plus d’être comédien, Julien touche alors à tout, la lumière, la technique, les affiches. « Je fonctionne encore comme ça. » Buvant son Chablis, il revenait régulièrement sur l’attention portée à l’autre, le respect, dans la vie comme dans sa profession. « Je ne travaille pas pour les institutions, ni les théâtres. J’y suis mal à l’aise. Cela me met en colère, provoque une sorte de blessure. Le théâtre est enfermant, excluant 95 % des gens n’y vont pas. Des lieux comme les écoles, hôpitaux, prisons, entres sociaux, sont négligés par les institutions et les artistes. Ce sont ces lieux qui m’intéressent. » Avec cette ambition, il crée en 1995 à Marseille la Compagnie Kartoffel. « Notre premier acte fut un pamphlet anti-théâtre universitaire se moquant des conventions. » Il crée des spectacles en appartement où le public déambule dans les pièces pour assister à une performance. Et toujours ce rejet de l’institution. « Je sais ce que je dois au théâtre : des acquis, des compétences, sinon, rien ne m’intéresse dans le théâtre. C’est un lieu qui est un entre-soi. » Julien me parlait encore d’humain, de rencontres avec des jeunes dont la parole devenait cathartique, des petites formes qu’il a toujours proposées, « ni lumière, ni régie, juste un musicien et un texte ». En 2007, il suit sa compagne à Lille et crée Home Théâtre, jusqu’à un accident qui va lui « mettre l’astragale en miettes ». De cette douleur va naître l’écriture. « Il y avait une urgence d’écrire. J’aime bien la rapidité, quand les mots se bousculent. L’écriture a quelque chose de l’ordre d’une fermentation. “Écrire, c’est perdre les eaux” dit Souad Labbize. » Pendant le confinement, il a mis en place une ligne téléphonique où chacun pouvait appeler pour se faire lire un texte par un comédien. « Ce fut 1 800 lectures en deux mois avec 19 comédiens. » Puis ce fut le Serveur Vocal Poétique (dit SVP), « un numéro de téléphone qui permet d’écouter de la poésie, comme un juke-box. Il y a une clandestinité de la poésie. C’est dix lecteurs pour cent éditeurs et mille poètes. Il faut casser cette logique livresque. De nouveaux formats sont possibles, l’audio par exemple. Le livre ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la poésie. » J’ai commandé un Chablis et écouté un poème sur mon téléphone. Le vin et la poésie se mariaient magnifiquement. J’aurais aimé dire « merci Julien ». Mais il était parti.

Consulter le Serveur Vocal Poétique sur le site : hometheatre.fr.