Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Muriel Cocquet, comédienne et metteuse en scène

Publié le 9 octobre 2020 à 16:07 Mise à jour le 28 octobre 2020

C’était calme à La Chope. Ça sentait les bad news, le retour du virus, la morosité qui colle au cul, la déprime qui montre son nez. Derrière le comptoir, Samir était résigné. Muriel Cocquet était sagement assise derrière sa bière, Günther dormait à ses pieds. « C’est plus festif d’habitude » que je lui dis. « Oui, c’est triste. Vivement que l’on puisse enfin se faire la bise » me répondit-elle. Comédienne et metteuse en scène de la compagnie La Lune qui gronde, cette picarde d’Abbeville est arrivée à Lille il y a huit ans. « C’était proche de la Belgique, plus petit que Paris. Je m’y suis vite sentie bien. » Jeune fille, elle voulait être avocate, sans doute inspirée par sa mère, professeure, « une femme courage, militante, animant des débats, se foutant des conséquences pour elle que de porter haut et fort ses opinions. Elle m’emmenait partout ». Muriel a gardé ce goût du débat et de l’argumentation. « J’ai découvert le théâtre à huit ans. Ma mère m’avait emmenée à la Cartoucherie de Vincennes voir les Atrides d’Ariane Mnouchkine. » Muriel me fait alors revivre ce moment fondateur. « Je me rappelle des statuettes du hall. J’ai ressenti le côté sacré du théâtre. Cela m’a bouleversé. Rien qu’en rentrant dans le théâtre, j’avais l’impression de vivre un truc. J’étais fascinée par les comédiens se maquillant. À cet instant, j’ai voulu faire du théâtre. » Après des études de lettres, elle étudie au conservatoire de Liège. « C’est lors d’un casting que j’ai eu envie d’être metteuse en scène. J’étais en concurrence avec d’autres actrices, mais je les trouvais formidables. J’adorais les voir travailler. » En arrivant à Lille, elle crée son premier spectacle, La Lune d’Émilien, qu’elle retravaille actuellement avec la danseuse Mélanie Favre. « J’ai écrit ce conte suite à la rencontre d’un gosse de quatre ans dans un centre social, sans doute en carence affective, rejeté par les adultes. C’est aussi l’époque où Sarkozy voulait détecter les futurs délinquants dès l’enfance. C’est une dystopie, un monde où la lune a disparu et où les humains ont cessé de rêver, sauf Émilien. On vit une époque où tout doit être calme. Les rêves, ça fout le bordel ! » Les spectacles de Muriel naissent de la même façon : « J’écris sur des choses qui me marquent, m’indignent ou des rencontres, des livres. J’ai la farine, le beurre, l’eau, le sel, cela fait une pâte avec laquelle je fais un spectacle. » Transposition de la tuerie de Parkland qui fit 17 victimes en 2018 et l’engagement des jeunes contre les armes qui s’en suivit, son prochain spectacle sera présenté, entre autres, à Grenay. Avec trois comédiens professionnels et treize jeunes amateurs, cette création, jouée et chantée, parlera de défense de l’environnement. « Je ne fais pas du théâtre militant. Je ne viens pas avec des réponses, mais avec des questions et des problèmes. On vit une époque passionnante, faite de renversements. Depuis le début des monothéismes, on a un rapport à la nature distancié. On ne peut plus dire que la nature est une chose, la culture en est une autre. Nous sommes la nature. Il faudrait chercher ailleurs pour comprendre ce qui arrive, penser autrement qu’avec notre esprit d’occidental, devenir apprenant. Je crois que l’on agit en s’inventant un monde. L’utopie est libératrice. » Cette dernière phrase sortit Samir de sa torpeur. Il se tira une bière. Günther s’étira. Et Muriel partit en disant : « Vivement que l’on puisse se faire la bise. »