© Yves Jamez
Les chroniques de JPM à La Chope

Rencontre avec Stéphane Verrue, metteur en scène

Publié le 24 septembre 2021 à 16:48

Sachant que Stéphane avait un berger malinois, je n’allais pas me pointer à La Chope avec mon bouledogue français. Il y a des humiliations évitables. Il m’attendait devant une Queue de Charrue, le paquet de Camel à coté du verre. J’ai vite su qu’il était issu de « la petite bourgeoisie roubaisienne, d’un père parti trop tôt quand j’avais 18 ans et d’une mère au foyer “admirable” ». À Wattrelos jusqu’à être viré du lycée, « j’avais une grande gueule, je faisais parti du Comité d’action lycéen », il obtient son bac à Tourcoing. « Une vraie prison, un lycée avec 8 filles pour 800 mecs, je ne voulais pas y traîner. » Il venait de voir Robinson Crusoé du Magic Circus et se dit : « Ah ouai, quand même ! » Il se voyait en fac de lettres, mais « je trouvais toutefois plus bandant d’aborder la littérature en incarnant des personnages ». Il part alors à Bruxelles étudier le théâtre à l’INSAS (Institut supérieur des arts). Une autre cigarette et Stéphane reprend en se marrant. « Au bout de deux ans et demi, l’INSAS m’a viré, ayant mal pris que je les laisse pour faire un stage de plusieurs mois au Théâtre de la salamandre à Lille en tant qu’assistant de Gildas Bourdet pour le festival d’Avignon où il montait L’ombre d’Evgueni Schwarz. J’aimais bien l’équipe. » Après cette expérience, sentant son avenir limité à Lille, il rejoint ses amis de l’INSAS. C’est alors 50 ans de théâtre que Stéphane a commencé à me décrire, buvant sa Queue de Charrue, où chaque gorgée s’accompagnait d’anecdotes, de rencontres marquantes. Il me parlait de la création du Théâtre hypocrite à Bruxelles en 1975 avec, entre autres, Philippe Geluck, de l’ouverture, après bien des travaux, du théâtre ciné-Rio dans le quartier Schumann « alors populaire à l’époque », où il accueillera les première représentation de La danse du Diable de Philippe Caubère en 1981. « La veille de la première, la télé belge avait diffusé le Molière de Mnouchkine, rendant célèbre Caubère. En trois jours, c’était complet. Jusqu’à mettre des spectateurs sur le plateau. » C’est aussi sa rencontre avec le metteur en scène tchèque Otomar Krejca, avec qui il collaborera durant trois ans, notamment sur Lorenzaccio avec, encore une fois, Philippe Caubère. Puis retour sur Lille, « chez ma mère, à ne pas savoir trop comment me démerder sans vouloir créer ma compagnie, sans doute par paresse. Je suis alors devenu metteur en scène indépendant durant dix ans ». Stéphane me parlait plutôt des autres que de lui, de la tristesse à la mort de Philippe Adrien, de sa rencontre avec l’équipe de Charlie Hebdo, « encore tous là », de sa passion pour Becket, de ses souvenirs marquants avec la compagnie de l’Oiseau-Mouche et de Max Gaillard l’invitant à devenir artiste associé au théâtre d’Arras. Il y créera sa compagnie Avec vue sur la mer en 1986. Aujourd’hui « je fais du “mentorat” », confiant la direction de la compagnie à Mélissandre Fortumeau et Franckie Defonte. Il présentera prochainement Contes pour enfants pas sages d’après Jacques Prévert en février 2022 ainsi que Discours de la servitude volontaire de La Boétie dont la 200ème sera fêté au Théâtre de la verrière à Lille. Alors que je me demandais combien de kilos de croquettes par jour pouvait manger un malinois, Stéphane me dit en reprenant une cigarette : « “Ce n’est pas parce qu’on a écarté le pire que l’exécrable doive autant constituer un modèle à suivre ou à respecter.” C’est de Marcel Mariën. » Stéphane avait manifestement une intimité avec les chiens et les poètes surréalistes belges. Ce sera ma conclusion (je n’en suis pas très fier).

Pour en savoir plus : cieavecvuesurlamer.org.