Notre père, pièce pour deux personnages d’Anne-Marie Storme

Tête-à-tête pour mémoire familiale...

par PAUL K’ROS
Publié le 30 octobre 2020 à 15:59

Non ce n’est pas une nature morte d’un peintre flamand qui s’offre aux yeux du spectateur en attente que débute la pièce Notre père d’Anne-Marie Storme ; juste voit-on sur scène une carafe de vin rouge à moitié vide/à moitié pleine, deux verres à pied, un morceau de pain disposés là sur un chemin de table en tissu blanc faisant penser à un autel d’église préparé pour la communion. Nous sommes en fait dans la salle de séjour de la maison familiale de Marie venue déjeuner avec son père vieillissant et de santé très déclinante. Il ne s’en est pas caché lui avouant quelques semaines plus tôt à mots comptés se préparer pour le grand voyage. Catholique fervent, la foi chevillée au corps, utile passeport pour l’au-delà, il lui dit être serein, il l’est certainement et en tout cas le montre avec un brin d’ostentation farci de recommandations banalement paternalistes pour le jour d’après qui a le don de l’énerver, elle. Elle est de passage, attentive et bienveillante envers ce père pour lequel elle éprouve de l’affection teintée d’admiration mais dont elle s’est éloignée par bien des aspects. En trois séquences à rebours du temps, trois visites de Marie à son père, Anne-Marie Storme nous fait pénétrer dans l’intimité et l’histoire d’une famille que l’on devine bourgeoise bienséante et cultivée où l’on pratique couramment l’allemand, langue de la réussite scolaire et sociale et écoute en boucle les oratorios de Bach par passion de la grande musique et pour la gloire de Dieu. Cette dernière remarque valant pour lui, le père, car elle, la fille, a définitivement tourné le dos à toute croyance religieuse. Malgré les désaccords, il y a entre ces deux-là une connivence singulière qui les distingue du reste de la famille, la mère, la fratrie, que l’on ne verra pas bien que très présents dans les souvenirs ou réminiscences qui, égrenant la narration, contribuent à restituer l’atmosphère de cette bulle familiale aujourd’hui éclatée. Dominique Sarrazin campe un père aux précautions de langage et de vie strictement routinières attaché à l’image qu’il laissera de lui au point d’en être ennuyeusement redondant ; ses quelques accès d’emportement voire de colère, même injustifiés, sont d’autant mieux ressentis comme une bouffée d’air vivifiant. Charlotte Talpaert dévoile avec une franche vivacité les multiples facettes d’une fille aimante bien résolue toutefois à ne céder en rien sur sa liberté de pensée et de vie ; en contrepoint de la stricte mesure du père, elle signifie le mouvement de la vie jusque dans ses débordements ; cette vie qui jaillit aussi bien dans le souvenir prégnant d’un cours de danse juvénile (regard chorégraphique Cyril Viallon) que dans les éclats de voix projetés depuis la cuisine en coulisse lesquels apportent une heureuse spatialisation sonore à un dialogue jusque-là confiné. Après Traverser la nuit, sa précédente pièce d’une grande intensité dramatique, Anne-Marie Storme poursuit avec beaucoup de justesse une exploration très révélatrice de l’intime familial.

Notre Père, texte, mise en scène, scénographie Anne-Marie Storme compagnie théâtre de l’Instant ; la pièce sera à l’affiche à la Verrière à Lille les 2, 3 et 4 décembre 2020 ; le 18 mars 2021 à La Piscine à Dunkerque et ensuite au Colisée de Lens. Le texte est publié chez l’Harmattan, théâtres. Infos et réservation :www.theatredelinstant.fr.