Kadoc au théâtre du Nord jusqu’au 10 octobre

Un dîner à haut risque

par PAUL K’ROS
Publié le 9 octobre 2020 à 16:47

Rien de tel qu’un moment de théâtre déjanté pour faire la nique à l’oppressante morosité entretenue autour de la Covid-19. Avec Kadoc, pièce de Rémi De Vos, le coup est plutôt bien réussi.

Le point de départ de cette comédie dramatique n’a pourtant rien a priori qui laisse espérer une franche détente des zygomatiques (façon Devos Raymond dans un sketch mémorable) puisqu’il est ici question des rapports hiérarchiques au sein d’une entreprise avec leur cortège d’autorité immanente, de subordination mal vécue, de secrète ambition, de schizophrénie latente au travail et aussi des multiples incidences et interférences de tout cela sur la vie conjugale et familiale.

Un pied de nez à la morosité Covid

L’écriture inventive mais souvent à gros traits de Rémi De Vos et plus encore la direction d’acteurs de Jean-Michel Ribes donnent à l’affaire une tournure croquignolesque, réjouissante dans la forme et assez révélatrice sur le fond. Les protagonistes masculins de la pièce travaillent pour l’entreprise Krump et leurs épouses respectives vaquent à leurs occupations privées mais n’en pensent pas moins. Wurtz (Jacques Bonnaffé de qui émane une intrigante aura), directeur des ventes chez Krump, papillonne avec l’aisance désinvolte propre à ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir ; il pianote les touches de son smartphone ou arpente l’espace de travail avec cette démarche calculée censée signifier profondeur d’esprit et parole de poids. L’insistance avec laquelle Wurtz s’enquiert du dossier Karflex auprès de l’employé Schmertz n’en est que plus pesante au point que ce dernier, d’abord tétanisé puis en proie à des hallucinations répétées (Yannik Landrein, paranoïaque monté sur ressorts), franchit avec fracas le mur du son du burnout. L’affaire se corse un peu plus lorsque Wurtz invite Schmertz à diner ; enfin ce n’est pas très clair car il invite d’abord un proche collaborateur, Serge Goulon, par l’entremise de la pulpeuse madame Goulon, prénommée Marion (Anne-Lise Heimburger fine mouche, savoureuse à souhait) rencontrée au supermarché ; rien de tel que le ballet des caddies des grandes surfaces commerciales pour huiler le va et viens des bonnes relations.

Devine où nous allons dîner

L’invitation suscite toutefois la méfiance, voire l’hostilité de Serge Goulon (Gilles Gaston-Dreyfus, machiste, fier à bras, un peu court de la casquette et du vocabulaire mais auto satisfait pétri d’ambition) qui a une fâcheuse tendance à projeter sa propre connerie (son adjectif préféré) sur les autres. Les choses se compliquent encore un peu plus lorsqu’apparaît Nora Wurtz, telle un zombie, tout occupée par le risotto aux fruits de mer qu’elle imposera pour le dîner (Marie-Armelle Deguy, époustouflante en nymphomane maniaco-dépressive cyclothymique) contrairement au rôti de veau préféré de son mari, patron dans l’entreprise mais pas maître chez lui quoi que très attentionné. On ne dira pas tout ici (on serait bien en peine de le faire) des supputations, arrière-pensées, calculs supposés ou réels que cette invitation à dîner motive et engendre chez les uns et les autres, y compris chez Judith Schmertz (Caroline Arrouas) dont la discrétion marquée au coin du bon sens détonne dans ce concert de plus en plus survolté. On vous laisse la surprise du repas qui ne manque ni de sel ni de dérapages non-inscrits au menu... L’appétit vient en mangeant.

Kadoc de Rémi De Vos, mise en scène Jean-Michel Ribes, production Théâtre du rond-point. C’est à voir au théâtre du Nord jusqu’au samedi 10 octobre. Infos et réservations : theatredunord.fr ou 03 20 14 24 24.