Flanquée de son compagnon Pierre et d’un frère adoptif Yan, qui fut aussi un impromptu et juvénile amant, Galia plantureusement installée dans un large fauteuil rouge telle une reine d’un jour en son jardin luxuriant attend sereinement la mort prochaine. C’est la première image, comme une ancienne photographie sépia, qui s’offre aux yeux du spectateur. Galia ne quittera guère son fauteuil de toute la pièce bientôt entourée d’une sarabande d’enfants, petits-enfants, amis, amants, invités par elle pour un adieu. Galia, voilà un prénom qui sort de l’ordinaire pour une fille née à Montluçon dans les années quarante. Il faut dire aussi qu’elle est enfant d’immigrés : une mère juive polonaise, Héléna, arrêtée en 1942 par la police française de Vichy et déportée à Auschwitz d’où elle ne revint pas ; Un père espagnol, Antonio, militant révolutionnaire, résistant, arrêté et exécuté par l’armée d’occupation allemande en 1944. Galia, ouvrière textile à Montluçon durant 26 ans, (Monique Brun, imposante de résilience, comme l’on dirait aujourd’hui) fume son cigarillo avec une satisfaction non dissimulée, tout en commentant, ou rectifiant avec la gouaille de sa jeunesse et la réserve du grand âge, les propos des membres de la famille (trois générations) qui gravitent autour d’elle comme aimantés par sa présence et son histoire dans le siècle écoulé. Fruit de plusieurs années d’enquête et de collecte de témoignages d’habitants de Montluçon, Carole Thibaut, autrice et metteure en scène nous offre un superbe texte de fiction qui vaut plus que bien des discours ou analyses de politologues ; une pièce de théâtre, un peu à la Tchekhov, composite, faite de dialogues intimes exprimant avec fulgurance la complexité des relations humaines et de charivari familial mettant à jour les liens forts et les contradictions générationnelles avec leur lot de dissimulations volontaires ou instinctives, de révélations tardives, et aussi d’amalgames, de réécritures et de petits arrangements non pas avec le bon dieu mais chacun avec sa propre histoire. En voix off ou par l’intermède choral de plusieurs protagonistes on prendra connaissance à grands traits des évènements historiques, économiques sociaux qui surdéterminent chacune de ces destinées individuelles. Aux côtés de Galia Libertad, femme libre, on trouve une galerie pittoresque de personnages à commencer par Pierre le compagnon fidèle, rassurant avec toujours un brin de moquerie (Olivier Perrier) intemporel gavroche, un pied à la ville l’autre aux champs et le troisième au cul des emmerdeurs de tous poils ; Pas loin il y a Yan (Jean Jacques Mielczack) le frère adoptif, issu d’une famille de mineurs, à la parole rare et abrupte ; pour la génération suivante on trouve Serge (Antoine Caubet) fils de Pierre, parti sans crier gare, à Lyon la grande ville, chercher meilleure fortune, portant beau et parlant bien et aussi Stéphane (Valérie Schwargz) (elle préfère ça à Stéphanie) une voisine, ex-amante de Serge avec qui elle a eu une fille Pauline ; et puis on trouve Anisse, le bâtard comme il dit, qui se croit et se veut à part, taciturne éruptif (Mohamed Rouabhi) fils de Galia et de Djibril l’arabe, un jeune algérien retourné au pays. Pour donner du fil à retordre aux premiers cités on trouve enfin la troisième génération, remuante, dérangeante, exigeante, avec les deux petites filles, Léa, (Chloé Bouiller) fille d’Anisse jeune médecin à Marseille et Pauline déjà citée (Louise Héritier) qui termine une thèse en ethnologie et lorgne du côté de la permaculture. Un savoureux cocktail de personnalités à bien entrechoquer pour mieux évaluer le siècle écoulé et mieux comprendre le monde qui vient.
- Un siècle, vie et mort de Galia Libertadvde Carole Thibaut est publié aux édtions Lansman avec le soutien du Théâtre des Ilets, centre dramatique national Montluçon ; 100 pages, 13€.