© Simon Gosselin
Jusqu’au 2 octobre à l’Opéra de Lille

Un Idoménée à effets spectaculaires mais privé d’émotions

par PAUL K’ROS
Publié le 1er octobre 2021 à 14:46

Idoménée, chef de guerre impénitent, vainqueur de Troie, s’en retourne content de lui, en son pays de Crète. Les dieux (Éole et Vénus), dont les voies sont impénétrables mais dont l’humeur belliqueuse n’a rien à envier aux humains, décident de le punir en lui mettant du vent dans les voiles au point de faire chavirer ses vaisseaux. Pour se sauver d’une mort annoncée, le vainqueur de Troie signe un pacte, à la diable, avec le dieu Neptune (Yoann Dubruque) lequel consent à calmer les flots à condition qu’Idoménée sacrifie le premier humain qu’il rencontrera sur les rivages de Crète. L’histoire tirée de la mythologie grecque prend une charge dramatique universelle lorsque le premier homme à croiser Idoménée n’est autre que son propre fils Idamante. C’est à en devenir fou, ce qui ne manquera pas d’arriver. Pour corser l’affaire, ajoutons qu’Idoménée (Tassis Christoyannis, baryton) est épris d’Ilione (Chiara Skerath, soprano), une prise de guerre troyenne, laquelle n’est pas insensible à la prestance généreuse et à l’amour que lui déclare Idamante (Samuel Boden, ténor) à la grande fureur d’Électre (Hélène Carpentier, soprano), promise de ce dernier. Emmanuelle Haïm et Alex Ollé avaient présenté, il y a un an, en plein confinement, une version raccourcie à l’essentiel et très épurée scéniquement de l’opéra d’André Campra qui avait fait forte impression et attisé notre attente. Comment se fait-il alors que la version intégrale scéniquement très élaborée avec effets vidéo spectaculaires, corps de ballet au grand complet et distribution identique éveille aujourd’hui beaucoup moins d’émotions ? Mystère de l’alchimie théâtrale. L’affaire se déroule cette fois-ci dans un décor « grand siècle » avec miroir géant, lit à baldaquin en bois tourné et enfilade miroitante, genre galerie des glaces de Versailles (l’opéra de Campra a été créé en 1712 à la fin du règne du Roi-Soleil). Ce royal ordonnancement sera toutefois vite brouillé, déstructuré par la déferlante traumatique des guerres, emporté par le déchaînement des passions et des éléments On retrouve alors toute l’ingéniosité et le savoir-faire d’Alex Ollé, d’Alfons Flores et de leur équipe de la Fura dels Baus qui avait tant impressionné le public avec Le Vaisseau fantôme de Wagner en 2017 . Mais voilà, le siècle de Campra n’est pas celui de Wagner, leurs constructions opératiques non plus ; une partie du problème se trouve peut-être là ; quelle que soit la richesse orchestrale du premier, les scènes de divertissement dansées qui ponctuent son opéra nous apparaissent aujourd’hui bien anachroniques, hors de propos, même avec une chorégraphie actualisée (Martin Harriague, chorégraphe). Quoi qu’il en soit, nombre de séquences musicales sont de toute beauté, parfois étonnamment ensoleillées (Campra est natif d’Aix-en-Provence et cela s’entend), sous la conduite experte d’Emmanuelle Haïm. Le chœur du concert d’Astrée est superbe et si cette version longue est toujours dominée par l’imposante stature tourmentée de Tassis Christoyannis (Idoménée), la jeune soprano française Hélène Carpentier se distingue en faisant valoir avec une belle présence les émois et la fureur d’Électre.

Idoménée d’André Campra, nouvelle production de l’Opéra de Lille, direction musicale Emmanuelle Haïm, mise en scène Alex Ollé.