Les Crépuscules de Thomas Piasecki au Théâtre du Nord

Un mariage, un enterrement et... la vie à la va-comme je te pousse

Publié le 17 mai 2019 à 18:12

Thomas Piasecki, auteur et metteur en scène natif de Bruay-la-Buissière, connaît comme sa poche ce coin de l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais, terre de dur labeur, de forte immigration polonaise, haut lieu de résistance à l’occupation hitlérienne et aussi à la dure exploitation humaine des compagnies minières. C’est dire qu’ici entre terrils et corons, l’esprit collectif et solidaire n’était pas un vain mot et les utopies progressistes fleurissaient. L’affaissement du territoire après la fermeture non compensée des mines s’est avec le temps accompagnée d’un effritement des solidarités et des idéaux.

Petit à petit, l’extrême droite a fait ses choux gras sur le chômage, le repli sur soi, la désespérance et la colère face aux renoncements et promesses non tenues des gouvernements sociaux-démocrates successifs. C’est un peu de cette histoire que nous révèle Thomas Piasecki par le biais des aléas de vingt ans d’existence d’une famille nombreuse ordinaire de ce Bruay-en Artois fusionné à La Buissière.

Chronique douce-amère

C’est donc une tranche de vie ou plus exactement un mille-feuilles d’anecdotes tartinées et enserrées entre deux coupes du monde de football, celle du 12 juillet 1998. et l’autre du 15 juillet 2018, moments de fugace euphorie nationale retrouvée, qui nous est ainsi conté. Un barbecue, tables et chaises de jardin en plastique blanc, un salon canapé banal, un paravent à roulettes et quelques tapis déroulables à vue feront affaire de décor ; j’allais oublier une insolite chaise aussi haute qu’un terril (genre siège d’arbitre de tournoi de tennis) qui fera office de chaire pour un curé pris de vertige lors du mariage de la fille de la maison et de poste d’observation pour un chroniqueur de foot enflammé ; ce dernier épisode étant entrelardé de vives engueulades politiques familiales.

Tour à tour Henri (Dominique Langlais),Catherine (Murielle Colvez), Marie (Florence Mazure), Charles (Fabrice Gaillard), François (Sylvain Pottiez),Alexandre (Nicolas Cornille), Margot(Lucie Boissoneau), Gaspard (Damien Olivier) ainsi que le beau-fils, pièce rapportée (Christophe Carassou) seront, selon un scénario un peu répétitif, narrateurs et acteurs de ces fragments de leur vie. Les séquences du mariage, de l’enterrement et de la confrontation finale mi-footballistique mi-politiquement pugilistique sont les plus réussies scéniquement et dans le jeu collectif.

On relèvera dans ce concert familial la partition de Murielle Colvez, qui campe avec détachement une mère les deux pieds sur terre, ferme dans ses convictions, droite dans ses bottes, comme l’on dit habituellement pour la gent masculine mais ici avec un zeste de narquoise subtilité en plus, et aussi Sylvain Pottiez éloquent dans son rôle de fils prodigue devenu énarque par pugnacité puis député Front national par dérive et opportunisme bien calculé.

Thomas Piasecki déroule une chronique familiale douce-amère empreinte d’une tendresse mélancolique, teintée d’ironie et assortie d’une note pessimiste quant à un avenir aux perspectives très assombries... Ce n’est pas pour rien que la pièce a pour titre Les Crépuscules.