© Antoine Domingos
Au-dessus de vos têtes d’Antoine Domingos au Grand Bleu

Une autre façon de jouer avec le feu

par PAUL K’ROS
Publié le 12 avril 2021 à 10:46

Elle et ils sont trois, mais bientôt quatre ; petite escouade de jeunes ayant pour commune addiction le « trainsurfing », pratique vieille comme la locomotion sur rail qui consistait dans le passé en certains pays à resquiller en voyageant sur la plateforme extérieure des trains par ailleurs bondés, utilisée ensuite de façon plus spectaculaire comme exploit singulier de héros de films d’aventure sautant allègrement d’un wagon à l’autre ; pratique transformée ici en sport illicite de haut risque pour jeunes gens en quête de fureur de vivre. Une façon de jouer avec le feu en se tenant en équilibre debout, accroupi ou allongé sur le toit d’un train ou métro en marche rapide tout en esquivant les obstacles potentiels. Ils sont trois, nous l’avons dit : Mathias est sans conteste l’étoile un peu secrète et lointaine autour de laquelle gravitent les autres membres de cette petite galaxie humaine ; jouer avec la peur est son moteur et son carburant et en cela il exerce une indéniable attraction sur ses compagnons. Hakim seconde Mathias dans toutes ses aventures ce qui ne l’empêche pas d’être avant tout préoccupé par la paire de chaussures de sport neuve qu’il vient d’acheter. Un coup de cœur ; les chaussures ça vous pose un homme, c’est ce que lui a appris son père qui en connaissait un rayon ayant longtemps été contraint de marcher pieds nus. Zélie est la troisième de la bande, débrouillarde, vive, éruptive, fière de sa place dans le groupe, elle y veille jalousement. Anna est la dernière arrivée, venue d’on ne sait où, ni comment, ni pourquoi, mystère, peut-être attirée par Mathias, ou l’inverse, ou les deux. C’est à ce moment que tout s’accélère encore… jusqu’à cette décharge des 15 000 volts du pantographe envahissant le corps de Mathias… Dans une langue abrupte non exempte de quelques saillies humoristiques, où les idées sont esquissées, et où les mots restent parfois en suspens, comme happés par le mouvement, où les dialogues deviennent vite des monologues parallèles, Antoine Domingos nous dévoile avec empathie quelques parcelles de l’être et du mal-être d’une jeunesse contemporaine. Son complice Théo Borne, comédien et ici metteur en scène, opte fort logiquement pour un dispositif bi-frontal puisqu’il est question pour les spectateurs idéalement placés de chaque côté de la voie centrale d’être happés par la montée d’adrénaline et de peur juvénile qui habite les passagers clandestins de ce train fantôme. Une station simplement esquissée à une extrémité s’avèrera être le poste de police où sont interrogés de façon aléatoire et routinière quelques-uns des protagonistes de l’affaire. Un affaire rondement et plutôt bien menée avec le concours des comédiens Baptiste Legros, Sarah Leseur, Agnès Robert et Clément Soyeux. Cela se passait devant un public restreint de professionnels au Grand Bleu, scène conventionnée d’intérêt national art enfance et jeunesse à Lille (qui doit tant à René Pillot tout récemment disparu) où Théo Borne est artiste en résidence. La pièce est coproduite par le Zeppelin, Cie les voyageurs à Saint-André-lez-Lille où nos deux jeunes compères exercent aussi en temps ordinaires un talent qui fait plaisir à voir mais dont l’ensemble des spectateurs est privé depuis maintenant trop longtemps.

Au-dessus de vos têtes, texte Antoine Domingos ; mise en scène et scénographie Théo Borne, production Cie l’Impatiente. Représentation à l’intention des professionnels, mars 2021, au Grand Bleu à Lille.