À propos de la pièce Stanis le Polak

Une vision partielle et partiale de l’histoire

Publié le 8 décembre 2019 à 13:21

La pièce Stanis le Polak connaît depuis son lancement, il y a un an, un gros succès. Interprétée par Henri Dudzinski, elle a été mise en scène par Bertrand Cocq. Imaginée dans le cadre du centenaire de l’arrivée massive de travailleurs polonais dans le Nord-Pas-de-Calais (1919-2019), elle séduit essentiellement les anciens de la communauté franco-polonaise, qui s’offrent un « bain de nostalgie ». Spécialiste de l’immigration polonaise, Jacques Kmieciak nous livre ses impressions sur cette œuvre où Henri Dudzinski, ancien consul de Pologne dans le Nord, fait l’impasse sur les liens étroits qui unissaient le mouvement ouvrier polonais du Nord-Pas-de-Calais à la Pologne populaire

Quelle est votre impression générale sur cette pièce ?

Je tiens d’abord à souligner la performance de comédien d’Henri Dudzinski. Le spectacle tire son dynamisme de l’alternance entre des temps forts chronologiques (la convention franco-polonaise de septembre 1919, la crise économique des années 1930, les rapatriements volontaires à la Libération, etc.) et des moments plus thématiques (le sport, la gastronomie, etc.). L’humour y est omniprésent avec une touche « picardisante » bien sympathique.

Que pensez-vous du contenu ?

La responsabilité de la classe dirigeante polonaise dans l’exil de milliers de travailleurs vers la France est passée sous silence dans une première partie qui s’étire de septembre 1919 à la Libération. C’est dommage car c’est bien la réforme agraire inaboutie qui va contraindre des paysans sans terres à l’émigration. Cette première partie me paraît cependant relativement équilibrée. Via le personnage de Stanislaw Pawlak, dit Stanis, mineur de charbon, on y évoque le souci du maintien des traditions, la xénophobie ambiante à l’endroit des Polonais, les tensions communautaires aussi… Ou encore la chasse aux syndicalistes « rouges ». Cependant les pratiques paternalistes des Houillères, leur collusion avec la très rétrograde Mission catholique polonaise dont le rôle est considérable dans la « droitisation » des consciences, me semblent minorées.

Comment la Seconde Guerre mondiale est-elle abordée ?

À travers les pleurnicheries habituelles autour de la « pôvre » Pologne « de nouveau » occupée en 1939 par ses « méchants » voisins allemands et russes. S’indigner du traité de non-agression germano-soviétique d’août 1939, sans évoquer la responsabilité de la Pologne fascisante des Colonels dans le déclenchement de ce conflit, c’est rendre une copie partielle et surtout partiale… C’est oublier aussi un peu vite que la Pologne, suite au traité de Riga (mars 1921) qui met un terme à la guerre polono-russe, a occupé une partie de l’Ukraine et de la Biélorussie. Et aussi qu’elle a participé avec l’Allemagne hitlérienne au dépeçage de la Tchécoslovaquie en 1938. Mais, dans la pièce, on préfère occulter ces pratiques impérialistes. On sacrifie de fait au cliché de la Pologne éternellement victime (sic !).

La pièce Stanis le polak jouée par l’ancien consul de Pologne

Vous semblez encore plus agacé par la seconde partie du spectacle ?

En effet, pour cette deuxième période (1950-1990), Henri Dudzinski met en scène sa propre personne, à travers l’évocation de son parcours professionnel et associatif. L’équilibre est alors rompu. Il fixe ainsi son attention sur l’élection en 1978 de Karol Wojtyla (Jean-Paul II) à la tête du Vatican ou encore sur la visite à Lens en octobre 1981 de Lech Walesa, le leader de Solidarnosc, qui, plus tard, trahira ses idéaux autogestionnaires pour vendre son pays aux appétits capitalistes.

En quoi ces évocations historiques seraient inopportunes ?

Ces engagements n’ont pas une portée universelle contrairement à ce que laisse entendre Henri Dudzinski dans une interview parue dans l’hebdomadaire Croix du Nord du 4 octobre 2019. Il y prétend, en effet, que l’histoire de Stanis le Polak est «  l’histoire de tous les Polonais du bassin minier  ». C’est faux. Cette pièce reflète, dans sa deuxième partie, les mobilisations, les préoccupations de la frange la plus cléricale de la communauté franco-polonaise, farouchement anticommuniste et un tantinet russophobe. Henri Dudzinski a alors tendance à confondre son itinéraire personnel et le destin collectif de la Polonia. Il va même jusqu’à se féliciter de la « chute du Mur de Berlin » ! Aussi légitimes puissent paraître ces combats aux yeux de certains, ils n’étaient pas partagés par tous les Polonais d’origine. Loin de là.

Vous semblez aussi regretter qu’un pan de l’histoire de la Polonia soit ignoré ?

Effectivement. Henri Dudzinski passe sous silence l’attachement d’une partie de la Polonia à la Pologne populaire (1944-1989) ! Rien dans la pièce sur les liens forts qui unissent la puissante Fédération régionale du sous-sol CGT, le Parti communiste français ou l’association France-Pologne aux syndicats des mineurs de Silésie ou au Parti ouvrier unifié (POUP) au pouvoir en Pologne. Rien sur la terrible répression qui s’abat sur les mineurs polonais en grève à l’automne 1948 contre la remise en cause du Statut des mineurs ! Rien sur la mobilisation de la Polonia du Nord-Pas-de-Calais contre le revanchisme allemand des années 1950. Rien sur la visite en France en 1972 d’Edward Gierek, l’ancien galibot de Libercourt devenu l’équivalent d’un chef d’État ! Pourtant, cette année-là, Edward Gierek avait reçu, à l’ambassade de Pologne à Paris, une délégation composée d’élus de Leforest, mais aussi de l’universitaire Edmond Gogolewski et du chanteur Stéphane Kubiak… Ce fait ne méritait-il pas d’être mentionné au même titre que la visite de Walesa, neuf ans plus tard ? Rien non plus sur l’immense fête qui s’est déroulée en 1972 à la salle du Cantin à Lens, pour le 50e anniversaire de l’immigration polonaise. On évoque par ailleurs le quotidien d’inspiration chrétienne (et un temps antisémite) Narodowiec, mais on oublie de parler de La Tribune des mineurs. Pourtant sa rubrique hebdomadaire en langue polonaise relayait les revendications des prolétaires polonais. Pourquoi passer sous silence ces temps forts portés de l’aile gauche de la Polonia ? Par ignorance ? Par choix idéologique ? Ou par un inavouable exercice d’amnésie volontaire ?

Vous conseillez néanmoins d’aller voir cette pièce ?

Tout à fait parce qu’elle est symptomatique de la persistance d’un courant de pensée qui prétend encore aujourd’hui à l’hégémonie. Elle offre, dans sa deuxième partie, une photographie des aspirations d’une partie de la communauté franco-polonaise. Cette Polonia « blanche », réactionnaire. Pendant un demi-siècle, elle s’est obstinément détournée de la Pologne réelle tout en se revendiquant d’un idéal patriotique. Un paradoxe dont certains n’ont toujours pas conscience !