© Guy Ferrandis

Albatros, ses ailes crèvent l’écran

par Albert LAMMERTYN
Publié le 22 octobre 2021 à 14:17

Dimanche 26 septembre à Lille, Albatros, de Xavier Beauvois, était en avant-première. Sortie du film le 3 novembre prochain.

Tourné en décors naturels et chronologiquement, Albatros, de Xavier Beauvois, n’a rien à voir avec L’Albatros (de cinquante ans son aîné) réalisé par le regretté Jean-Pierre Mocky. Pas plus que n’ont à voir entre elles les époques respectives de ces deux films.
 Quand Mocky moque la corruption sans scrupules des politiques des seventies, Beauvois touche la chose politique par le fil du social, à travers un fait divers impliquant un commandant de brigade de la gendarmerie d’Étretat dans la mort d’un agriculteur au bord du suicide. Voulant empêcher Julien, fusil sous le menton, de commettre l’irréparable, Laurent, visant la jambe, tire avec son arme de service. À une artère fémorale près, il plonge sa propre existence dans l’irrémédiable. Quelques millimètres à côté, il devenait un héros…
 Nous pouvons découper le film en trois parties, dont la dernière a des accents d’apothéose apaisée. La première, la plus longue temporellement, pose avec patience la psychologie des personnages. La gendarmerie en est un à part entière. Laurent s’y épanouit professionnellement, malgré le lot journalier de misère sociale qu’il rencontre. Même si l’entrée en matière est spectaculaire avec la chute d’un corps du haut d’une falaise venant perturber les noces d’un couple japonais, les scènes s’enchaînent paisiblement : rapports entre les gendarmes dans leurs attributions diverses, moments d’amour entre Marie (Marie-Julie Maille) et Laurent (Jérémie Renier) qui vont bientôt matérialiser dans le mariage plusieurs années de vie commune, complicité de ces deux-là avec leur petite Poulette (Madeleine Beauvois), une fillette empreinte de calme, de lucidité, voire d’un brin de gravité. Après la projection du film, Marie-Julie Maille, épouse de Xavier Beauvois et maman de Madeleine Beauvois (oui, Albatros est entre autres choses une affaire de famille), dira de son enfant : « Cette petite fille est passeuse d’émotions : un visage sur lequel on peut se reposer. » 
L’auteur de ces lignes, spectateur chanceux de l’avant-première du 26 septembre à l’UGC Ciné de Lille, ne peut qu’acquiescer. Quand par exemple Poulette, à l’arrière de la voiture parentale, lit sur un mur l’accusation « assassin » s’adressant à son père, le regard et le silence valent mille fois tous les mots.

Tout au bout de la mer

La deuxième partie fouille l’action, elle la prépare graduellement, le drame monte et éclate. La sidération de Laurent après son geste fatal est hors du temps, torturante, sans fin imaginable, sans redoux apparent. Jérémie Renier s’avère d’une justesse émouvante dans ses longs silences, noirs et profonds comme une fleur du mal. Des scènes pas souvent vues au cinéma dans ce genre de drame où leur sont souvent préférés la péripétie et des dialogues clinquants qui permettent de lier la sauce. Beauvois a la fibre sociale et travaille son goût du réalisme qui lui vient de ses séances nocturnes à dévorer des documentaires. Le Bruxellois Renier fera régner l’humour belge après le film en répondant à une question, lâchant : « Je ne suis pas gendarme. Je suis Claude François. » Soyez assuré que dans Albatros, il incarne un commandant de gendarmerie plus vrai que nature.
 Doublé d’un excellent marin d’ailleurs. Vous le constaterez - comme si vous y étiez - dans la troisième partie du film, la plus métaphysique. On peut deviner là que toute l’équipe du film va en quelque sorte au bout de la mer. Pour ne rien spolier ni spoiler, je ne vous cède que le mot de « voilier ». Sans rien d’autre dévoiler.
 Impeccables à l’écran quoique non professionnels de l’image, les gendarmes ainsi que l’agriculteur sont aussi gendarmes et agriculteur dans la vie. À noter que Victor Belmondo n’est pas le petit-fils de Jean-Paul pour rien. Quant à Iris Bry, remarquée comme paysanne dans Les Gardiennes (du même réalisateur), elle confirme son talent sous l’uniforme, et ç’aurait été dommage de ne voir que des mâles dans cette enceinte militaire.
Initialement programmée en septembre 2020, la sortie tardive du film (Covid oblige) laisse filtrer un ouf de soulagement dans la bouche de Xavier Beauvois qui se sentait « comme un père présentant son bébé aux grands-parents, sauf que le bébé, tiens tiens, est déjà en CE2… »
 Albatros sera en salles à partir du 3 novembre.