Le « cinéma de banlieue » : représentations des quartiers populaires ?

Enjeux d’un cinéma entre réalité et fantasme

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 5 février 2021 à 16:13

Les discussions que soulève l’appellation usitée portent davantage sur le social et le politique que sur les qualités esthétiques.

À l’expression quelque peu passe-partout de « cinéma de banlieue », étiquette cataloguant les films dont les thèmes concernent la dimension sociale et ethnique de la société française, Manon Grodner préfère celle de « cinéma des quartiers populaires ». Banlieue ? Appellation incontrôlée, le terme est ambigu, associé qu’il est à des idées préconçues : « quartiers sensibles », délinquance, drogue, violence… L’ouvrage met en valeur un mémoire de fin d’études de Sciences Po Lille, mémoire centré sur une approche sociale du cinéma, en particulier sur des groupes sociaux peu représentés et souvent stigmatisés dans les médias. Approche caricaturale, univers typé par des signes devenus rapidement des stéréotypes : immeubles, tours, caves, escaliers… le tout décrété pathogène avec de surcroît un mépris latent voire affiché. Manon Grodner interroge la validité de la vision construite par le cinéma de ces quartiers délaissés par le pouvoir politique, sous équipés en services publics, gangrenés par le chômage. Elle s’intéresse à des populations jeunes, issues de l’immigration maghrébine, reléguées aux marges des villes et sujettes aux discriminations (contrôle au faciès, abus policiers).

Qu’est-ce que filmer vrai ?

Pour cerner la relation qu’entretiennent la réalité et la fiction, elle a sélectionné un corpus non exhaustif de dix-neuf films réalisés depuis les années 2000, dont La Squale, Wesh wesh, qu’est ce qui se passe, L’Esquive, Entre les murs, Neuilly sa mère !, Bande de Filles, Shéhérazade… Pour voir ce que ces œuvres ont en héritage, elle en évoque une douzaine des années 1990 comme Le Thé au harem d’Archimède, Douce France, La Haine, Ma 6 T va craquer, Samia, Inch’Allah Dimanche… Manon Grodner aborde les manières dont sont traités les différents problèmes que connaissent les jeunes de ces quartiers : précarité, égalité des chances, racisme, économie souterraine, relations familiales, violence entre groupes rivaux, rapports aux institutions (police, justice, pompiers). La question cruciale de la destination et de la réception de ces films est posée, sont-ils vus par les populations concernées ? Ils passent généralement dans les salles Art et essai que ces populations ne fréquentent pas. Pour que ce cinéma social bénéficie d’une audience, des festivals associatifs, lieux de mobilisations collectives, sont créés dans les quartiers populaires : La Courneuve, Saint-Denis pour les longs métrages, Aubervilliers et Paris (à l’initiative de Jamel Debbouze) pour les courts. La lecture des dossiers de presse et des entretiens permettent de circonscrire les intentions des producteurs et des cinéastes et de mesurer la dimension de leur engagement en art qui est au cœur de l’étude.

Aux arts citoyens ?

Pour étayer cette analyse, Manon Grodner a fait appel aux comptes rendus publiés dans la presse (Le Figaro, Le Monde, Libération) et sites Internet (Télérama, Les Inrockuptibles). Elle explique ce choix en prenant comme critères le nombre de lecteurs et les « sensibilités politiques différentes ». Concernant ce dernier point, les critiques de La Croix et l’Humanité auraient été bienvenues, en particulier au niveau du rapport à l’engagement. Des réalisateurs, souvent débutants, ayant grandi dans ces cités, sont davantage susceptibles de proposer une approche différente du traitement subi par les habitants et ressassé par les médias. L’auteure s’emploie à faire connaître la dimension militante de leurs films : sont-ils des vecteurs de revendications, d’espoirs ? De même, dans ce « cinéma de banlieue » dominé par le regard masculin, elle s’attache aux œuvres traversées par des présences féminines (Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef, 1985) ou donnant la parole à un quatuor de jeunes filles qui s’évertuent à vivre pleinement dans Bande de Filles de Céline Sciamma, 2014, film pétri d’une vitalité et d’une énergie frondeuse, rageuse même. Cet ouvrage, qui comporte une très riche bibliographie, est d’un puissant intérêt pour s’interroger sur la question de l’authenticité au cinéma. Le nombre et la variété des sujets abordés justifient la référence aux enjeux indiqués dans le sous-titre.

Le « cinéma de banlieue » : représentations des quartiers populaires ? Enjeux d’un cinéma entre réalité et fantasme , éditions L’Harmattan, Logiques sociales, série études culturelles. 254 pages, 25 €.