Abd el-Kader (1808-1883), Ange Tissier, 1853. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski
Au Mucem, à Marseille

Abd el-Kader, l’homme « aux mille vies »

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 5 mai 2022 à 12:28

« Héros national », pour les uns, « traître à la patrie », pour d’autres, Abd el-Kader (1808-1883), le « Père de la Nation algérienne » fait l’objet d’une exposition au Mucem à Marseille.

D’aucuns le confondent avec Abd el-Krim qui, dans l’entre-deux-guerres, combattit les colons espagnols et français dans le Rif marocain. L’itinéraire d’Abd el-Kader est tout autre. Après avoir pris la tête des luttes contre la colonisation française de l’Algérie et même jeté les bases d’un État indépendant, il fut contraint à la reddition avant de faire allégeance à la France…

Un exemple pour le PCA

À la fois chef militaire, érudit religieux et mystique, ce personnage « aux mille vies » continue de fasciner. « L’enjeu de l’exposition est de rappeler la singularité et la complexité d’Abd el-Kader qui fut à la fois un homme de la tradition et de la modernité », avance l’historien Ahmed Bouyerdene. Son parcours ne cesse d’alimenter controverses et débats passionnés des deux côtés de la Méditerranée. En février dernier, le monument érigé en son honneur près du château d’Amboise (Indre-et-Loire), où il fut incarcéré, était vandalisé quelques heures avant son inauguration. À l’été 2021, pour « avoir porté atteinte aux symboles de la Nation », l’ex-député du Rassemblement pour la culture et la démocratie, Nordine Aït-Hamouda était condamné à une peine de prison ferme en Algérie pour avoir déclaré qu’Abd el-Kader avait « vendu l’Algérie à la France ». Les autorités algériennes ne badinent pas avec la réputation d’un homme dont elles ont fait rapatrier les cendres de Damas à Alger en 1966. Le Parti communiste algérien (PCA) lui-même le tenait pour exemple.

Embarquement d’Abd el-Kader à Bordeaux, Stanislas Gorin, 1850.
© RMN-Grand Palais / A. Danvers

La prison en France

Dès 1832, dans une Algérie envahie par la France, Abd el-Kader s’impose comme un chef de guerre qui lance ses troupes à l’assaut des « envahisseurs chrétiens ». Très vite, à la faveur de traités de paix, il crée dans l’ouest du pays « les conditions d’un État, fédéré par une armée régulière, la pratique de la langue arabe, et encadré par les dispositions du droit coranique ». L’entrée en scène du tristement célèbre général Bugeaud entraîne la reprise des hostilités. En 1847, Abd el-Kader rend les armes « à condition de pouvoir s’exiler au Proche-Orient ». La monarchie française ne tient cependant pas sa promesse et l’incarcère, lui et ses proches, à Pau, puis à Amboise. Libéré, fin 1852, sur ordre de Louis Napoléon, Abd el-Kader fait le serment au futur Napoléon III « de ne jamais plus exercer de pouvoir politique ou militaire, ni de retourner en Algérie ». Cette posture et son absence de soutien aux insurrections indépendantistes qui perdureront lui seront reprochées par la suite. Il gagne alors l’actuelle Turquie, puis Damas en Syrie où il finit ses jours en 1883. Dans l’Hexagone, il est présenté « dans les manuels scolaires comme l’adversaire dont la bravoure et la défaite illustrent la supériorité de la civilisation européenne », apprend-on en parcourant une exposition riche en tableaux, objets liés à l’émir et archives. 250 œuvres déroulent le fil chronologique de sa vie.

Un pont entre l’Orient et l’Occident

En 1860, Abd el-Kader, à la tête de la communauté algérienne de Damas, aura contribué « à sauver d’un massacre plusieurs milliers de chrétiens. Sa popularité gagne alors toute l’Europe », rappelle Florence Hudowicz, la commissaire de l’exposition. Il reviendra en France le temps de visiter les expositions universelles de 1855 et 1867 qu’il qualifie de « temples de la raison et de l’intelligence animés par le souffle de Dieu ». En Orient, entre retraites spirituelles et pèlerinages, cet adepte du soufisme consacre ses journées à l’étude et à la pratique religieuse. En avance sur son temps, il a œuvré « dans un désir de réconciliation. Il s’est ainsi intéressé au chantier du canal de Suez avec la conviction qu’en ouvrant une nouvelle voie entre l’Orient et l’Occident, il est possible de rééquilibrer les relations entre ces deux mondes et d’arriver à une forme d’harmonie. À sa manière, il était visionnaire », commente Florence Hudowicz.

Exposition « Abd el-Kader » jusqu’au 22 août 2022. Au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), 1, esplanade du J 4 à Marseille. Site : mucem.org. Rens. au 04 84 35 13 13.