Boris Taslitzky (1911-2005), Les Délégués, 1947, Huile sur toile, 130 x 162 cm, Roubaix, La Piscine - Musée d’art et d’industrie, Don d’Évelyne Taslitzky, fille de l’artiste, en 2022. Photo : Alain Leprince.
Boris Taslitzky à Denain

Au pays des mines, du feu et du métal

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 31 mars 2022 à 19:49 Mise à jour le 1er avril 2022

De décembre 1946 à avril 1947, dans le cadre d’une enquête sur la vie ouvrière, Boris Taslitzky arrive à Denain où il a été missionné avec Jean Amblard par le Conservateur du Musée des arts et traditions populaires. Le maire communiste qui fut à la tête de la CGT de la métallurgie rassure les ouvriers d’abord méfiants, voire hostiles, pensant que les deux peintres étaient envoyés par le patronat : « Alors là, c’est devenu une espèce d’idylle entre nous et le prolétariat. » Leur sensibilité d’artistes proches de la cause ouvrière fait le reste.

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Ils descendent au fond d’une mine comme Zola pour Germinal, affrontent l’univers gigantesque des hauts fourneaux et des fonderies, visitent les usines Cail de constructions mécaniques dont les OHQ, ouvriers hautement qualifiés, sont promus orfèvres de la métallurgie. Taslitzky croque sur le vif une quarantaine de dessins pris dans les Forges et Ateliers de Denain-Anzin, et ce dans un contexte qui commence avec la « bataille du charbon » et la reprise industrielle, débouche sur des difficultés (tickets de rationnement, inflation, retard des salaires) auxquelles les ouvriers répliquent par des grèves. Avec le tableau Les Délégués (1947), il adhère au « réel dans son expression infatigable », au réel dans toutes ses fibres, selon une démarche plastique subtilement pénétrante. Douze fondeurs en rangs serrés occupent presque tout l’espace de la toile, dynamisés par le jeu des couleurs, bleu et jaune de toutes nuances. Puissance et résolution dans l’attitude et le port de tête, un « front de défense et d’affrontement de classe ». L’homme au marteau-piqueur (1958) renchérit sur cette dimension de lutte, « chevalier des temps modernes avec son heaume et son arme ».

Une nouvelle peinture d’Histoire née de la « bataille du réalisme »

Taslitzky, comme Fougeron et Pignon, s’inscrit dans la lignée de Gromaire et de Léger pour la défense et la promotion d’un art social. Leur peinture cherche à capter l’intensité du vivant, le quotidien d’anonymes, la manière dont ils ont vécu les événements et les traces qu’ils ont laissées, transfiguration de la réalité visible, construction qui tend à s’approcher du réel ressenti, ce mémorable « être au monde ». À la différence du réalisme socialiste que veulent généraliser Jdanov et l’URSS dans ces temps troubles du stalinisme triomphant et glorieux, le PCF avance, lors de cette bataille du réalisme, l’expression de Nouveau Réalisme, ouvert à une pluralité de styles picturaux. Le réalisme n’a pas de caractère absolu. Les artistes cités ont pensé la réalité et l’ont traduite, peinture figurative engagée, chacun selon sa propre démarche esthétique.

Exposition à la Piscine, Roubaix, jusqu’au 29 mai. Catalogue, éditions Anagraphis et La Piscine, 304 pages, 380 illustrations, 30 €.