Exposition

Jules Adler, des frissons d'humanité

par JEAN-LOUIS BOUZIN
Publié le 1er août 2019 à 19:15

La postérité n'a pas retenu le nom de Jules Adler, sauf dans sa Franche-Comté natale où le Musée des beaux-arts de Dôle est à l'origine de la première rétrospective qui lui ait jamais été consacrée, visible actuellement à La Piscine de Roubaix.

Reconnu par les institutions de son temps, exposé dans les salons parisiens de l'époque et aujourd'hui dans quelques musées dont celui d'Orsay, Adler fit ce qu'on pourrait appeler une « honnête carrière ».

Ce peintre, qui œuvra du XIX e siècle finissant jusqu'au terme des années 1930, est resté apparemment insensible aux courants esthétiques qui révolutionnèrent la période. Dans la veine réaliste classique d'un Constantin Meunier qu'il révérait ou d'un Steinlein avec qui il était ami, mais avec moins de radicalité que ces deux-là, Adler se distingua avant tout par le choix de ses sujets : la rue, le peuple, les pauvres, le monde ouvrier comme les sardinières de Douarnenez, les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer ou les mineurs de Charleroi qu'il contribua ainsi à introduire dans la peinture d'histoire, comme Émile Zola le fit dans la littérature. Cela lui valut le titre de « peintre des humbles ». « Une œuvre n'est éternelle que si elle est traversée par quelques frissons d'humanité », écrivit-il un jour.

Une dimension sociale et humaine

Son tableau le plus connu, car souvent reproduit dans les manuels scolaires, La grève au Creusot, se réfère aux luttes ouvrières chez Schneider en 1899. Il met en scène la manifestation qui rassembla, le 24 septembre, plus de sept mille personnes au Creusot. Sur fond de cheminées d'usines, l'artiste se concentre sur les hommes, femmes et enfants en marche, s'entraînant par la main, l'épaule ou le bras ; avec, au centre de la composition, comme dans La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, une femme au visage de Marianne qui tient fermement un drapeau tricolore dont on voit, en fait, surtout le rouge dominant les tonalités sombres du tableau.

À une époque où le fantôme de la Commune de Paris devait encore hanter la bourgeoisie bien-pensante, on peut y voir une certaine audace. Une audace qui semblera s'atténuer au fil des ans. Le Gavroche de 1911 a l'air bien inoffensif comparé à celui, justement, de Delacroix.

L'œuvre d'Adler, appréciée jusque-là surtout dans les sphères de gauche, devient progressivement plus consensuelle, à l'image des Communiantes de 1923, une œuvre à première vue on ne peut plus sage. Quoique... on se demande ce que vient faire, au premier plan en bas à gauche du tableau, ce tas de pavés. Des esprits subversifs pourraient y voir de quoi renforcer une barricade ou se défendre contre la maréchaussée. Pure hypothèse, bien sûr. Mais quand même, si l'art d'Adler était plus subtil qu'il n'y paraît ? Parmi les autres expositions en cours, et en cohérence avec la rétrospective Adler, signalons Le travail, la lutte et les passions - Bronzes belges du tournant du XX e siècle.

Présentée pour la première fois au public, cette exposition comprend cinq bronzes de l’emblématique Constantin Meunier (1831-1905), sept bronzes du baroque moderne Jef Lambeaux (1852-1908) et un bronze de Joseph Witterwulghe (1883-1967). Le musée roubaisien a accepté avec enthousiasme la proposition d’un couple de collectionneurs parisiens, Philippe et Françoise Mongin, de lui faire don, sous réserve d’usufruit, de ce très bel et rare ensemble de bronzes décoratifs belges.