Tree of liberty (Queen Califia), 2001, polyester peint, feuille d’or, 48 x 50 x 54 cm. Copyright Niki Charitable Art Foundation
Niki de Saint Phalle, les années 1980 et 1990

L’art en liberté, figures de lumière et parti pris de la vie

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 21 octobre 2022 à 14:10

Si l’exposition Niki de Saint Phalle nous ravit par sa somptueuse abondance, le catalogue en rend compte d’une manière à la fois riche, claire et suggestive.

Monumentalité, mise en scène festive, indépendance, revendication féministe, engagements politiques et sociaux caractérisent l’œuvre prolifique de Niki de Saint Phalle (1930-2002), artiste qui a couvert tous les champs de l’art : peinture, gravure, sculpture, cinéma, performance, mobilier, objets, livres, autobiographie. Ses Nanas, Vénus bien enveloppées, imposantes, lumineuses et aériennes, continuent de susciter l’enthousiasme du public. Elle les a réalisées dans les années 1960 en hommage à une amie pour qui les grossesses étaient des périodes de pur épanouissement. Les Nanas irradient une vitalité jubilatoire, femmes-flammes mises en majesté qui dament le pion à la gent masculine, le temps des soumises étant révolu.

Le Jardin des Tarots

Niki de Saint Phalle ne s’enferme pas dans la rondeur ludique et colorée de ses Nanas et, durant les décennies 1980 et 1990, voulant surpasser le Palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives et les réalisations de Gaudi à Barcelone, elle se consacre à son Jardin des Tarots à Capalbio en Italie, habité par 22 sculptures monumentales, effigies totémiques, poème visuel d’éclats chamarrés de céramique, de tessons de miroirs, mosaïques qui nous disent « nous sommes des êtres multiples, changeants  ». Le visiteur entre dans un spectacle inouï et délirant, exaltant la femme et la vie et qui laisse au fond des yeux la trace d’un manège grandiose d’images chatoyantes. Il relève du merveilleux, du conte, du voyage initiatique, concentration d’émotions, de peurs, de désirs, d’indicibles secrets enracinés depuis l’enfance. Le Jardin joue sa partition, le beau accessible à tous, adultes et enfants qui y pénètrent, accueillis dans le ventre de l’Impératrice, Déesse-Mère (dans le catalogue, cinq photos des étapes de sa construction). L’article de Lucia Pesapane précise que ce lieu communautaire, espace privilégié de communion avec le vivant, réalisé par des femmes et des hommes venus d’une douzaine de pays «  détruit le mythe de l’artiste solitaire  ». Julie Crenn associe Niki de Saint-Phalle à des artistes comme Frida Kahlo, Leonor Fini entre autres qui créent des liens sociaux : «  Nous nous aveuglons comme nous nous éclairons les uns les autres ». Karine Lacquemant s’enquiert du mobilier d’artiste comme décor de la vie, objets en matériau de synthèse pour renouveler le cadre du vécu quotidien. Avec des Nanas déclinées en trois formats et des foulards, bijoux, pin’s (au coût accessible) diffusés dans les grands magasins, l’artiste peut se consacrer financièrement à l’achèvement du Jardin des Tarots.

Indépendante et engagée

Niki de Saint Phalle est restée toujours libre de ses choix, tant artistiques que politiques et sociaux. Elle s’engage auprès des malades du sida, cette « Peste », nouveau cavalier de l’Apocalypse, témoigne par des sculptures de sa solidarité pour le combat mené en faveur des droits civiques aux États-Unis. Sa série en 2001 dirigée contre George W Bush et ses « valeurs » guerrières traduit les réactions de son angoisse. Déjà en 1969, son Péril jaune détournait un poncif raciste : la guerre du Vietnam est prise pour cible par une joyeuse représentation d’une danseuse en maillot de bain, tout de jaune vif recouverte. Tout au long de sa vie, Niki de Saint Phalle « écrit, réécrit, dessine, confesse et (se) joue », note Mica Gherghescu : textes, dessins et peintures en résonance, création graphique et picturale portant la parole et l’image à leur plein feu. « Écriture à qualité magique » qui englobe formes épistolaires, livres, autobiographie. En 1994, dans Mon secret, elle révèle l’inceste qu’elle a subi à onze ans par son père ; ce viol dit-elle «  me rendit à jamais solidaire de tous ceux que la société et la loi excluent et écrasent  ». Cet aveu a entraîné une relecture de son œuvre, dès lors dotée d’une complexité et d’une pertinence nouvelles, source de questionnements tout en demeurant source d’émerveillements. Découvrant le catalogue, le lecteur ébloui est livré au vertige de la densité, incessant battement d’intensités qui démontre la faculté de renouvellement de Niki de Saint Phalle.

  • Catalogue de l’exposition Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990, l’art en liberté, présentée aux Abattoirs, musée - Frac Occitanie Toulouse, jusqu’au 5 mars 2023. Catalogue sous la direction d’Annabelle Ténèze et Lucia Pesapane. Gallimard, 224 pages, 22 x 27 cm, 150 illustrations, œuvres produites entre 1970 et 2002, 35 €. 
    La mort n’existe pas, 2001, lithographie, 62 x 48 cm. Collection MAMAC Nice. Copyright Niki Charitable Art Foundation. Copyright Photo Muriel Anssen/Ville de Nice