Albion, Mat Collishaw, 23017, Aluminium et miroir, 430 x 540 x 460 cm, collection de l’artiste. © ADAGP Paris 2022.
Utopia, 6e édition de Lille 3000 : l’homme et la nature

L’utopie, rêve éveillé des hommes

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 31 mai 2022 à 08:13

Deux expositions sur le devenir du monde des vivants, humains et végétaux. Depuis le jardin d’Eden, promesses, état d’alerte, pires dérives et espérances d’actes de renaissance.

> Botanica Magnifica

Au Palais des Beaux-Arts, La Forêt magique convie le public à s’immerger au sein même de la forêt et de ses bruits et d’en percevoir toutes les sensations, à partir du regard porté par des artistes qui ont compris précocement, par intuition, l’influence de cet univers dans l’équilibre du monde vivant. Dans l’atrium, le pourtour de la rotonde offre sur 40 mètres un magnifique puzzle de textes et de photographies de forêts du Jura et de l’une des dernières non modifiées par l’homme, celle de Bialowieza en Pologne (le biologiste Francis Hallé, présent dans l’exposition, est l’auteur du manifeste Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest). À l’intérieur de la rotonde, le visiteur est plongé, littéralement cerné par l’installation vidéo de Quayola : la lumière du soleil sur des arbres de la campagne provençale (celle de Van Gogh) agités par le mistral se déplace à grande vitesse, provoquant de grandes vagues, d’envoûtantes véritables « coulées d’eau ». Une « peinture vivante ». Vertigineux, enchanteur et hypnotisant. Le voyage se poursuit avec une cinquantaine d’œuvres (huiles, aquarelles, dessins, manuscrit enluminé, films, vidéos, installations). Un hymne à l’arbre, alter ego de l’être humain depuis l’Antiquité, au peuple des arbres majestueux ou fantomatiques, seuls ou serrés comme une armée des ombres. Ils furent magnifiés par les peintres : le chêne, arbre-roi en Europe, modèle de puissance (Rousseau, Dupré, Caillaud), majestueux comme le figuier sacré de Buddha au Sri Lanka (Regamey). La forêt scannérisée de Joux dans le Jura par Quayola donne à voir ce qui n’est pas perceptible par l’œil humain. Mat Collishaw ressuscite sous le plus vieux chêne d’Albion, l’âme du passé, le fantôme de Robin des bois (Albion. La Légende de Sherwood). Le film de James Cameron Avatar évoque une planète d’une nature exubérante, fantastique, dont la flore s’illumine à la tombée du jour et où le minéral, le végétal et l’humain vivent en symbiose autour d’un monumental Arbre Maison. Sa destruction signale la vulnérabilité du monde vivant, victime de déforestation à outrance comme en Amazonie.

> Les Vivants au Tripostal

Conviée par Lille 3000, la Fondation Cartier pour l’art contemporain expose 250 œuvres dont 200 d’Amérique latine, ensemble unique. Le visiteur est accueilli par dix sphères imposantes de Tony Oursler, des globes oculaires sur la cornée transparente desquels glissent des images vidéos de végétaux, d’animaux et de transe chamanique enregistrées par Geraldo Yanomami. Avec le brésilien Bruno Novelli, ce sont des animaux fantastiques, plongés dans un univers de rêve, qui apparaissent comme dans cette toile No cominho, où une sorte de tigre fabuleux au pelage décoré baigne dans une palette de gammes de couleurs acryliques vives où le vert tropical s’impose. Les artistes amérindiens venus du Brésil, Paraguay et Venezuela sont issus des peuples qui ont établi un dialogue permanent avec les voix de la forêt amazonienne. Les peintures-récits d’Edilene Yaka et Isadora Kerexu 2021, puisent dans une culture ancestrale où se combinent mythes, critiques des pouvoirs et inquiétudes quant aux conséquences des politiques économiques sur la vie sociale et l’environnement. De même, les dessins relevant en apparence de l’art naïf de Ehuana Yaira évoquent le vécu quotidien des femmes dont le peuple lutte pour sauvegarder leurs terres contre les exploitations forestières et minières. Au total, un regard renouvelé à la fois sur des beautés énigmatiques et des réalités préoccupantes tout au long de ce parcours qui est un véritable voyage initiatique, esthétique et sensoriel. Sensoriel, il l’est d’autant plus avec Le Grand Orchestre des animaux, collecte du « chant de la nature », bande son de 15 000 espèces animales terrestres et marines à partir de 5 000 heures d’enregistrement de Bernie Krause en 2016. Que cette ode ne devienne pas muette.

La forêt magique, Palais des Beaux-Arts, jusqu’au 19 septembre. Catalogue, toutes les œuvres y sont analysées, éditions Palais Beaux-Arts Lille et Réunion des musées nationaux Grand Palais. 152 pages, 19,90 €. Les Vivants, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Tripostal, jusqu’au 2 octobre.