Robert Lotiron (1886-1966) est tombé dans l’oubli alors que ses œuvres furent présentées dans les grandes expositions, achetées par l’État et qu’il fut élu vice-président, puis président du Salon d’Automne. Sa vocation de peintre naît dès l’adolescence. Les artistes qu’il rencontre le renforcent dans cette voie : Roger de la Fresnaye qui restera son ami, Robert Delaunay qui le mettra en relation avec Apollinaire, Gleizes, Matisse qui le conseille. En 1912, il est invité à l’exposition du Blaue Reiter à Munich avec Picasso et Derain.
Une indépendance cultivée
Successivement, il expérimente l’impressionnisme, emprunte à Cézanne l’articulation du paysage, des êtres et des objets que l’impressionnisme avait dissous, puis avec davantage de distance le fauvisme et le cubisme. Il restera réfractaire aux aventures collectives et aux théories de la peinture moderne, ne cessant d’élaborer son propre langage. Ainsi, contrairement à d’autres peintres qui ont affirmé très tôt leur originalité, Lotiron s’est donné du temps pour peaufiner la sienne. Prédilection pour les petits formats, paysages animés, rôle primordial accordé à la couleur pour rythmer la composition et octroyer de la profondeur aux surfaces, « palette restreinte mais riche de subtiles nuances » dans un bain de lumière.À l’imaginaire, il préfère s’attacher à la beauté du simple quotidien, cultivant une relation très proche avec le paysage environnant donnant l’impression d’additionner spontanément des vérités visuelles. Au contraire, il recompose le réel à des fins plastiques, s’attache à une harmonie d’ensemble éliminant les détails, comme dans cette toile de 1921 Calais, le déchargement de bois ou dans Cannes. Les Voiles, 1922, le croisement des verticales et des obliques (planches, mâts, cheminées, haubans, tours, voiles) donne du mouvement à la scène et amplifie l’intensité du travail.
Une peinture d’obédience humaine
Dans sa quête d’un dialogue entre la construction, la matière de ses dessins et toiles, et la dimension concrète du monde sensible, son œuvre nous touche par sa limpidité, sa délicatesse et une sorte de sincère sobriété. La dimension réaliste d’une œuvre n’est nullement liée à sa prétendue qualité imitative. Robert Lotiron reste tourné vers la réalité de son temps dont il est profondément solidaire. Il peint l’activité portuaire du Havre, Saint-Malo, Marseille, Calais, Dunkerque, Douarnenez. Les grues sont aussi présentes à Paris, sur les quais et en banlieue, à Aubervilliers. L’artiste dit le monde du travail : débardeurs, pêcheurs, mareyeurs, passeurs de sable au tamis. Ce dernier sujet est traité en 1924 - Gennevilliers - et en 1953 - Pont Mirabeau. De même pour les attelages de chevaux et tombereaux sur les quais de la Seine (série dans les années 1920 reprise en 1964). L’accrochage de ces toiles entraîne une lecture créative, non seulement par rapprochements mais aussi par la « mise en mouvement cinématographique » des chevaux d’un tableau à l’autre. Les vues de la vie rurale (travaux des champs, moissons, batteuses mécaniques, battage au fléau, vendanges) sont abordées avec la même absence d’effusion, de sentimentalité. Cette harmonie où les femmes et les hommes sont en adéquation avec leur environnement se retrouve dans les scènes des temps de loisirs, rêve paisible de liberté des beaux dimanches au bord de l’eau, des guinguettes populaires, lieux privilégiés de la sociabilité démocratique ou dans les manifestations festives du Carnaval de Nice avec ses pierrots et carnavaleux affublés de très grosses têtes. Tous ces thèmes qui témoignent de la vie au quotidien de ses contemporains ont été précédés de dessins préparatoires réalisés sur le motif selon différentes techniques (crayon, graphite, encre de Chine, lavis, aquarelle et gouache) à découvrir au Musée de Bergues. Ils réapparaissent lorsque Lotiron s’intéresse à la technique de la gravure en 1930. Quatre années auparavant, il touchait à la lithographie, reprenait des tableaux antérieurs, réduisant la gamme des tons en travaillant la pierre. Le Musée de Cambrai expose une centaine d’estampes et de peintures. C’est toujours la même humanité, solidarité tacite entre l’artiste et les hommes.
*Piscine de Roubaix jusqu’au 4 septembre ; Musée de Cambrai jusqu’au 16 octobre ; Musée de Bergues jusqu’au 30 octobre. Catalogue édité à l’occasion de l’exposition en trois volets, Gourcuff Gradenigo, 192 pages, 25 €.