William Morris (dessinateur), Jeffrey & Cie (fabricant), The Pimpernel (le mouron), vers 1876. Papier continu à pâte mécanique, fond vert brossé à la main, 70 x 56,6 cm. Paris.Musée des Arts décoratifs. © Les Arts décoratifs
À la Piscine de Roubaix

« N’ayez rien chez vous que vous ne sachiez utile ou que vous ne croyez beau » : Williams Morris

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 28 octobre 2022 à 11:13

L’œuvre de William Morris est présentée pour la première fois en France à Roubaix. Cet artiste éclectique anglais du 19e défendait l’idée que l’art est dans tout et pour tous. Il s’opposait à l’industrialisation et à la déshumanisation des savoir-faire artisanaux.

Artiste polyvalent, William Morris (1834-1896) fut dessinateur, peintre, écrivain, pionnier du design, architecte, calligraphe, enlumineur, typographe, imprimeur... un dialogue entre les arts. Référence internationale lors de l’éclosion de l’Art Nouveau en 1890, il n’a pas eu par la suite les honneurs qu’il méritait, mal aimé des musées et historiens français. Il n’avait jamais été présenté en France, négligence aujourd’hui réparée. C’est la redécouverte de l’Art Nouveau dans les années 1960 que les travaux de ce touche à tout de talent connurent un regain d’intérêt. Militant politique et écologique, il est l’un de ceux qui initient le mouvement socialiste britannique. Il s’engage totalement dans les luttes sociales, dit « non » à tous ceux qui domestiquent l’homme et participe aux manifestations ouvrières. Ses idées d’une société plus équitable hérissent les gens de biens d’une Angleterre victorienne, puritaine qui voudraient que tout artiste se tint tranquille. Et c’est ainsi que ce qui ne relève pas du « pur débat artistique » est gommé.

Éloge du beau dans le quotidien

En 1856, étudiant, il fait la connaissance des peintres préraphaélites Rossetti, Burne Jones qui prennent pour modèle la peinture italienne du 15e siècle. Rencontre déterminante qui l’amène à se consacrer aux arts décoratifs. En assistant à l’Exposition Universelle de Londres de 1851, il avait été choqué par la laideur des pièces fabriquées par l’industrie. L’esthétique et le profit étant incompatibles, il veut démocratiser l’art, persuadé qu’un ouvrier peut être à la fois artisan et artiste. Échappant aux injonctions de rentabilité du système capitaliste, redonnant aux objets, même les plus usuels, une dimension esthétique, son travail contribue à son épanouissement. « N’ayez rien chez vous que vous ne sachiez utile ou que vous ne croyiez beau ». William Morris instaure ce qui sera nommé les Arts & Crafts qui prône l’art dans tout et pour tous.Créateur maître de ses projets, il abolit l’opposition instituée entre un art qualifié de noble et les arts dits mineurs, arts appliqués en particulier et instaure une continuité entre le décor (papiers peints, tapisseries, vitraux), le mobilier et les objets que celui-ci rehausse : les personnes qui y vivent deviennent les complices d’une intimité. La maison familiale qu’il a fait construire et qu’il a dessinée avec l’architecte Philipp Webb, la Red House est un véritable manifeste de ses idées, tout y est fait par des artisans.Entre utopie socialiste, bijoux et arts décoratifs élitistes, ce créateur pour une clientèle aisée est le héraut de contradictions mais celles-ci ne l’immobilisent pas : les salaires de ceux qui les fabriquent doivent être élevés et le travail effectué dans la dignité. Il favorise, avec l’aide d’artisans, la mise en place dans les campagnes d’ateliers collectifs dont les bénéfices sont partagés entre les ouvriers.

Un Graal réinventé

William Morris est connu hors d’Angleterre pour ses textiles et ses papiers peints aux motifs romantiques raffinés entrelacés. Les amateurs de littérature fantasy peuvent lui être redevables, ses recherches et traductions concernant la culture celte et le Moyen Âge nourrissent son inspiration, un Moyen Âge fantasmé qu’il oppose à l’époque industrielle. Les manuscrits médiévaux etleurs enluminures libèrent l’imagination et servent à démocratiser la beauté. Il crée sa maison d’édition, publie ses propres textes mettant en scène des mondes imaginaires, surnaturels ainsi que de vieilles légendes, les écrits de ses amis artistes, avec des polices de caractère qu’il a inventées, livres illustrés comportant des marges florales dérivées des tapisseries et d’œuvres de Burne Jones.Plus d’une centaine d’œuvres (papiers peints, tentures, mobilier, dessins, peintures de Rossetti, Burne Jones, Hunt, Millais) sont présentées dans une ambiance feutrée et chaleureuse, les murs des salles de l’exposition étant tapissés de créations de William Morris, scénographie immersive imaginée par Cédric Guerlus. Le catalogue publié sous la direction de Sylvette Botella-Gaudichon est un livre-somme, un monument, non seulement d’une érudition généreuse et accessible, mais de vie. Les titres des articles de quelques uns des neuf auteurs qui nous ouvrent, avec tant de science et de bonheur, un univers auquel l’Art Nouveau puisera largement, suffisent à nous convaincre de l’apport fondamental de cet artiste dans la reconnaissance des arts appliqués et du dynamisme de son imagination visionnaire toujours en partance : « Une utopie réaliste », « Refuser une terre sans joie  », « Le Livre idéal comme incarnation du rêve  », « Préraphaélisme : entre revival, conscience et rêve éveillé »...

  • Exposition à La Piscine, Roubaix jusqu’au 8 janvier 2023. Catalogue, éditions Snoeck, 22 x 27 cm, 208 pages, 160 illustrations, 35 €.