DESSINS À LA PAGE

Picasso illustrateur au MUba à Tourcoing

par Alphonse Cugier
Publié le 16 décembre 2019 à 15:51 Mise à jour le 19 décembre 2019

Les très riches heures du dialogue entre un artiste et des écrivains et de l’interpénétration de l’image et du texte.

Le diable d’homme n’a pas fini de nous étonner et de nous éblouir et l’exposition du MUba le prouve : elle est inédite, aucun musée n’avait auparavant présenté Picasso à travers le prisme de l’illustration, dans la diversité de ses techniques, la grande variété des solutions plastiques et de leur richesse expérimentale. Refusant de se soumettre aux codes de l’art de l’illustration, il témoigne d’une puissance de création dont le dernier exemple remonte au 17 ème siècle avec Rembrandt. Son dessin le plus célèbre est La Colombe , Aragon l’avait choisi pour l’affiche du Congrès de la Paix en 1949 à Paris, Picasso dessina une nouvelle colombe pour chaque congrès suivant.

On la retrouve sur l’affiche Amnistia de 1957, une lithographie pour venir en aide aux victimes du franquisme. Devenu symbole universel, cet oiseau qui tient un rameau d’olivier est sans aucun doute le signe le plus sensible de cet amour de la liberté dans tous les domaines qui anime Picasso.

Sensibles proximités

À la demande de ses amis écrivains, éditeurs et marchands d’art, il illustre, entre 1905 et 1973, près de 50 livres et réalise une centaine de gravures en frontispice pour d’autres ouvrages. L’image n’est pas conçue comme une simple transcription visuelle du texte, elle le prolonge.

Dessins et écrits se partagent l’espace, chacun sur une page, en regard l’un de l’autre ou s’interpénétrant dans une même page, en intelligente complicité et immédiate reconnaissance, créant un rythme, une respiration mutuelle. Pour les Métamorphoses d’Ovide, Picasso se sert d’un trait pur et dur en phase avec la dimension tragique du mythe (Hercule tuant le centaure Nessus).

Le même trait acéré dialogue avec Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac ( Le peintre et son modèle ) ou avec Lysistrata d’Aristophane (les femmes décident de faire la grève du sexe pour faire cesser la guerre). Ces trois exemples témoignent à quel niveau d’acuité et de concision Picasso parvient avec l’eau-forte. Par ailleurs, il recourt à l’aquatinte pour faire revivre les animaux de l’ Histoire naturelle de Buffon et rendre compte du rituel du spectacle tauromachique, de l’arène et de la foule ( La Tauromaquia ) : il retrouve ainsi la liberté du pinceau et sa virtuosité manuelle spontanée. Sur le même thème, en regard, sont proposés huit plats ronds en faïence et trois linogravures qui allient sobriété, sûreté et rigueur, rendant fascinante l’expression de l’action et du mouvement.

Illustres portraits

Certains portraits que Picasso réalise de ses amis dans les années 1910 illustrent leurs œuvres : Apollinaire pour Alcools , Max Jacob pour Le Cornet à dés , Reverdy pour Cravates de chanvre. Ce ne sont pas ses premières incursions dans le domaine de l’illustration : dès 1901, il dessine pour la presse « parisienne », dans Gil Blas et Frou Frou dans lequel il croque, dix ans après Toulouse-Lautrec, les danseuses illustres du Moulin Rouge, Jane Avril et la Goulue.

L’ exposition est une réussite , rassemble deux cents œuvres, certaines rendues accessibles par l’ouverture des livres illustrés : le visiteur est en mesure de découvrir le jeu d’interaction entre le texte et l’image et de partager l’enthousiasme de Picasso devant la puissance de la ligne, surtout lorsqu’il exécute des images figuratives distanciées, suscitant un fécond décalage réflexif.

  • À voir au MUba à Tourcoing jusqu’au 13 janvier. Catalogue : éditions Snoeck, 144 pages, 25 € .