Pablo Picasso, Portrait de Dora Maar, 1 novembre 1937, Huile sur toile, pastel, peinture sur toile 55 x 45 cm, MP164, Musée national Picasso-Paris © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau, © Succession Picasso 2022
« Picasso et les avant-gardes arabes » à l’IMA de Tourcoing

Rencontres formelles et engagements politiques en partage

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 21 avril 2022 à 21:04

Les artistes arabes, à la recherche de leur réalité, se sont inspirés de l’œuvre toujours renouvelée de Picasso qui leur ouvrait des perspectives illimitées. Une exposition à voir à l’IMA de Tourcoing jusqu’au 10 juillet.

« En France, Picasso était accusé d’être étranger, ici ils nous accusent d’être des Picasso. » C’est ainsi que Mohammed Khadda, artiste algérien de la génération des années 1930, la première à créer une modernité à la fois universelle et autochtone, définit la scène algérienne de 1972. Le dénigrement convoque les figures du modèle, de l’imitation ou de la copie. Excès de vocabulaire… De plus, c’est oublier que Picasso a pratiqué, en Espagne puis à Paris, l’exercice de la copie des maîtres, avouant : « Nous sommes les héritiers de Rembrandt, Vélasquez, Cézanne, Matisse… Un peintre ne sort pas du néant. »

Picasso, un homme sous influence

Pluralité de références, ce « cannibale pictural » ne faisait aucune différence entre l’art du passé et celui du présent : découverte des arts premiers, des masques de la culture africaine, grande familiarité avec la calligraphie des arts de l’Islam et de l’Orient, statuaire grecque et romaine, figures mythologiques (Minotaure, faune). À ce « souffle archaïque », il faut ajouter plusieurs expositions « Picasso et ses maîtres » qui ont dévoilé son Panthéon artistique, la stratégie de transposition et de détournement qu’il a déployée à l’égard de ses artistes de prédilection, plus d’une quinzaine de Gréco à Delacroix, Manet et Toulouse-Lautrec. L’ogre mérite sa réputation.

Ezekiel Baroukh, Baigneuse, 1952, Courtesy of Ramzi & Saeda Dalloul Art Foundation

Picasso, un homme d’influence

Toute recherche des sources conduit à effectuer des rapprochements, il est vrai que les artistes arabes ont joué avec les codes picturaux de Picasso en liaison avec ses ruptures stylistiques, ses innovations formelles et ses engagements politiques pour servir leurs propres préoccupations plastiques tout en se réclamant de l’exemple moral du maître espagnol. Avec des artistes d’Afrique du Sud, d’Amérique du Sud et d’Inde, ceux du Maghreb et du Moyen-Orient forment la trame plurielle d’un espace où la peinture apprend de la peinture. L’exposition d’une prodigieuse abondance (70 œuvres) permet de relever toutes les parentés, les points de tangence. Dès l’ouverture, le Portrait de Dora Maar de Picasso trouve un écho dans le Visage d’homme à la bougie de l’Égyptien Samir Rafi. The woman, the moon and the branch de l’Irakien Hassan Al Saïd et La Femme au loup de Rafi travaillent dans une gamme de bistres cernés de brun noirâtre rappelant le Nu couché de Picasso, 1908. La jeune mendiante et la belle robe du syrien Adham Ismail, véritable morcellement kaléidoscopique multicolore, s’inscrit dans le droit fil de la période cubiste de Picasso, sans abolir la présence humaine mais en en magnifiant le flux de vie. L’Égyptien Ezekiel Baroukh avec La Baigneuse pratique un cubisme tempéré aux couleurs vives indépendantes des formes (angles adoucis et courbes) et traduit harmonieusement la détente qui succède à la jouissance, visage renversé reposant dans l’orbe du bras.

Mahmoud Hammad, Cain & Abel, 1958, Courtesy of Ramzi & Saeda Dalloul Art Foundation

Implications dans le politique

Comme Picasso avec Guernica et Massacre en Corée, les artistes arabes, héritiers d’une histoire qui a vu se succéder colonisation, décolonisation, confiscation du pouvoir par des dictateurs et aspirations démocratiques, s’emparent de sujets politiques. Empruntant à Guernica le Minotaure, le cheval qui dans la culture arabe est l’animal vénérable qui résiste à toute tentative d’assujettissement et y plaçant hélicoptère et oiseau de proie, le Syrien Alwani Khozaima dénonce dans un triptyque, les massacres perpétrés par la garde prétorienne du régime bassiste dans la ville de Hama en 1982 à l’encontre de la population locale, pour éradiquer l’opposition des Frères musulmans. Les situations conflictuelles se signalent dans le combat fratricide de Caïn & Abel, tout en lignes brisées et angles aigus de l’Algérien Mahmoud Hammad, dans la dénonciation de la guerre civile au Liban chez Aref El Rayess, des tueries commises à l’égard de civils palestiniens remémorées par les estampes de l’Irakien Dia Al-Azzawi, d’autres s’inspirant du récit de Jean Genet Quatre heures à Chatila, de l’horreur qui s’est abattue dans les camps de Sabra et Chatila au Liban en 1982. Cette exposition, résultat d’un travail de recherche inédit, bénéficie d’une scénographie à la hauteur des enjeux, tout au long du parcours, toiles et dessins de Picasso sont placés en miroir d’œuvres d’artistes arabes. Elle traduit aussi la part croissante que le monde musulman a prise dans l’actualité culturelle en France, tout particulièrement.

L’exposition « Picasso et les avant-gardes arabes » est à voir à l’Institut du monde arabe de Tourcoing, 9, rue Gabriel-Péri, (métro ligne 2 - Colbert), du 2 avril au 10 juillet 2022. Infos et billetterie : ima-tourcoing.fr.