Encore un jeudi de Laura Bellini

Angoisse d’enfant et relance de bien-être

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 24 mars 2022 à 18:50

Jeudi, c’est le jour de la bibliothèque. Timmi qui a joué avec ses billes réalise soudain que n’ayant pas ouvert le livre emprunté, il sera incapable de le présenter en classe avec « son langage ». Et c’est son estomac qui fait des siennes comme si « des papillons battant des ailes y avaient élu domicile ». Où trouver ce langage ? Il cherche en des endroits improbables ! Complètement loufoque ! La finesse bleutée de ces scènes, certaines à la limite de la transparence, les rend fascinantes. Timmi est néanmoins attiré par la bille dessinée sur la couverture, il ouvre l’ouvrage : surprise, c’est un livre déployant tout un luxe d’images sur double page grand format. Ces images de jeux lui rappellent des moments heureux, elles installent un environnement rassurant.

L’illusion du vrai : un imaginaire débridé

Le premier jeu ouvre une piste de lecture de tout l’album. « Cache-cache » avec un phasme feuille, insecte qui se confond par la forme ou la couleur avec l’environnement. Dix planches où mimétisme, modèles et copies sont rois… Laura Bellini tricote ses souvenirs d’enfance, étonnante sourcière de jeux pratiqués par des insectes. Des abeilles cyclistes emportées par le tourbillon d’une toupie mécanique à ressorts prennent la tangente pour filer à la queue leu leu. Un grillon-quille se trouve parmi de véritables quilles en bois, il en est de même pour les boules, des vraies et des « fausses », cloportes qui s’enroulent face au danger. Des criquets noirs ou verts munis de leurs pattes articulées en angles aigus ressemblent aux pièces d’un Meccano destiné à fabriquer un aéroplane d’après le modèle imprimé sur le cahier. Cet album spectaculaire par son format, réjouissant pour les pupilles, distille successivement étonnement, interrogations, séduction et plaisir : une douce étrangeté qui subjugue et émerveille. Il raconte et illustre avec une singulière puissance évocatrice (détails insolites à repérer) nos jeux d’enfants, monde dont les petits ont les clés bien avant les adultes qui les ont perdues. Le jeune lecteur s’identifie sans peine à Timmi qui, voulant dessiner sur son carnet le cerf-volant, celui qui vole et non la lucane (dite aussi cerf-volant) munie d’énormes mandibules (les deux étant présentés ensemble), s’aperçoit qu’il manque quelque chose au livre. Il ajoute le jeu qu’il affectionne tout particulièrement, crée une onzième planche ressemblant aux contreplats des reliures d’ouvrages : différents exemples agrémentent les pages de l’album avec leurs motifs décoratifs répétés, fleurs ou figures géométriques. Il en est fier et il peut rendre le livre ainsi complété, avec « son langage », ce qui sera sûrement apprécié !

Éditions de l’Atelier du poisson soluble, 72 pages, 23 x 33 cm, 22 €.