Éditions du Seuil, 256 pages, 19 €
Au plus beau pays du monde de Tahar Ben Jelloun

Au cœur du vivant et des rêves

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 2 décembre 2022 à 13:23

Auteur depuis 1973 de plus de 60 romans (Prix Goncourt 1987 pour La Nuit sacrée), poèmes, pièces de théâtre, essais, documents et contes, Tahar Ben Jelloun a, à quatre reprises, fait honneur à la nouvelle, à cette forme brève, au style qu’elle exige : une idée de roman réduite à son noyau dur. Son dernier recueil de14 nouvelles est consacré à son pays natal, le Maroc qui imprègne aussi ses romans. Le Maroc cher aux touristes montre ici d’autres visages. Fès, Tanger, Casablanca, Marrakech, Asilah… arpentées, aimées, rêvées. L’écrivain écoute, observe, examine, interroge, une manière de « cambrioler le réel  » mais son écriture est aussi tributaire de son imagination.

L’être anonyme : singulier pluriel

Deux familles très proches, l’une arabo-musulmane, l’autre juive marocaine mais on ne se marie que dans son clan. Femmes prisonnières de leur corps autant que du rôle social et familial. Un homme se marie, son épouse reste vierge : silence absolu sur l’homosexualité. Une femme ruine son mari et finit par le tuer sans éveiller le moindre soupçon, crime parfait pour cause d’adultères. L’amour d’un couple qui accompagne son enfant trisomique. Une jeune génération tiraillée entre les mœurs, les principes hérités et les appels de l’Occident. Poids des traditions et des tabous, poignantes histoires d’amitié, fortes inégalités sociales, pauvreté, rêves de partance, Histoire sujette à des déperditions… Dans ce pays de soleil, de lumière crue d’un été qui paraît éternel, l’humour et les chants tentent d’atténuer l’âpreté des temps et en guise d’ouverture un poème dédié aux qualités d’accueil et de partage du peuple marocain, éclaircie dans la grisaille. Autant de regards sur la condition humaine : dans cette proximité avec ses semblables, la voix de l’écrivain sonne juste, une langue souple, avenante et fidèle à la tradition du conte. L’auteur quitte à l’occasion le récit réaliste pour la légende, la venue de Don Quichotte à Tanger en compagnie de Sidi Ahmed Benengeli, le chroniqueur arabe méticuleux et quelque peu extravagant que Cervantès avait pris pour couverture lors de la publication de son roman. Par ailleurs, il a souvent été reproché à Tahar Ben Jelloun de donner une image déplorable du Maroc à travers ses livres. Oui, il a évoqué la répression des intellectuels dans les années 1970, abordé le racisme, la corruption, l’analphabétisme, une administration obtuse, l’islamisme politique et le terrorisme… mais il est un domaine qui est absent de tout commentaire, celui du régime politique, du palais royal.