« Grégoire et le vieux libraire », de Marc Roger

Bonheurs de lecture

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 22 février 2019 à 16:27

Ancien libraire, M. Picquier est en maison de retraite et n’a pu conserver dans sa petite chambre que trois mille livres sur les vingt-sept mille que comptait sa librairie. Atteint de la maladie de Parkinson et d’un glaucome, il ne peut plus assouvir sa passion, la lecture.

Il parvient à convaincre un adolescent, homme à tout faire de l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), d’être son lecteur. Grégoire, qui n’a jamais raffolé lire et qui n’a pas ouvert un livre depuis sa sortie du lycée, finit par accepter, aimant rendre service. Une rencontre inattendue… une amitié et une complicité rares : l’adolescent découvre un monde qui lui était totalement étranger. Le vieux libraire l’initie à la lecture à haute voix, débit et intonations. Les mots et leurs sonorités sont des appeaux, les images naissent, rendues concrètes.
M. Picquier vit sa passion par procuration, obtient l’accord de la directrice et demande à Grégoire d’être aussi le passeur pour d’autres pensionnaires. Comment on devient un mordu de la lecture... C’est avec tact, finesse et discrétion que l’auteur, Marc Roger, lecteur public en librairies et bibliothèques, aborde ce qui dans les EHPAD est vieillesse, douleur et solitude. Son duo complice dissipe les relents de buanderie, évacue le morne, la grisaille et le vide qui règnent alentour. Et les séances de lecture, béquilles de fins de vie, deviennent des tremplins.
Aux yeux des pensionnaires et de ses collègues, Grégoire est une sorte de magicien, un arpenteur de mondes, un éveilleur d’instants brûlants d’intensité qui redonnent des couleurs au quotidien.

Seconde naissance

Émotions, joies, souvenirs et pensées… tout ce qui s’était endormi renaît.
Des moments qui frôlent les larmes sans cesser d’être pudiques comme ce bonheur offert à Célestine qui s’éteint, apaisée, écoutant Grégoire lisant un texte qu’elle affectionne tout particulièrement, l’auteur mettant ainsi en lumière l’irréductible dignité humaine. Ou des moments de joyeuse et gaillarde effervescence qui emportent tout l’établissement avec un texte revenu de « l’Enfer », extrait d’un de ces ouvrages parus clandestinement et que la morale réprouve.
Découvrez comment la voix de Grégoire circule par des « canaux » qui rivalisent avec le haut débit et comment le vieux libraire entre en immersion totale dans des livres à paraître ! Merveilleux.

Grégoire et le vieux libraire, de Marc Roger, Albin Michel, 238 pages, 18 €.