À fleur de peau. Vienne 1900. De Klimt à Schiele et Kokoschka

Brillante et dramatique naissance d’un siècle

par Alphonse Cugier
Publié le 4 septembre 2020 à 14:53

« À chaque époque son art, à l’art sa liberté. » Le catalogue de l’exposition de Lausanne met en lumière la contribution de Vienne à la naissance de l’art moderne.

1900. L’Empire austro-hongrois se meurt confronté à des problèmes insolubles (revendications des nationalités, essor d’une bourgeoisie d’affaires, apparition d’un parti ouvrier avec revendications, manifestations et grèves. Effervescence aussi éminemment féconde dans les arts, l’artisanat, la littérature (Hofmannsthal, Musil), la musique (Schönberg, Alan Berg), la philosophie et la psychanalyse avec les recherches de Freud. Le catalogue reprend les six sections de l’ex- position de Lausanne. Les artistes de la Sécession viennoise veulent apporter un sang neuf : travail plastique centré sur la peau, surface sensible par excellence, point de contact entre l’homme, le monde, les objets usuels et l’environnement urbain. Ils reviennent au point de départ de la nudité en libérant le corps de ses ornements. Les différents contributeurs montrent qu’en raison de la diversité de leur démarche, ces artistes transcendent les appellations trop restrictives.

Déclinaison sensuelle du corps féminin chez Klimt, « symphonie de tons de chair » dans une marqueterie ornementale, prolifération de motifs décoratifs stylisés aux couleurs vives qui saturent tout le support et renforcent la « muralité » de la peinture. Schiele multiplie les angles de vue obliques ou en plongée sur des corps tronqués d’une morbidité anguleuse, style à cran d’arrêt. Les portraits de Kokoschka d’une dureté tourmentée mettent à nu ses angoisses et fantasmes, transparence et autopsie à vif. Restituer la carnation dans toutes ses nuances, défauts et plaies compris, et rendre visibles (et ce en liaison avec les recherches anatomiques) les articulations, les flux sanguin et nerveux, les zones érogènes : la peau est notre sensibilité, les émotions, les pulsions y affleurent d’où cette analyse du pouvoir sensible du visage et des mains. Le chapitre « Espace-peau » s’intéresse à la fusion entre l’homme et la femme, la mère et l’enfant. Les corps s’agrègent pour n’être plus que des blocs d’un seul tenant placés sur le même plan, sans échelonnement perspectif. « Autour de la peau » visite le suprasensible : « Je peins la lumière qui émane des corps » déclare Schiele. L’imaginaire s’imprègne des expériences visionnaires, des relations entre le cosmos et le corps enveloppé d’ondes, de vibrations colorées et de halos.

Éclats de lumière et morsure des ténèbres

Pour être bien dans sa peau, les Ateliers viennois qui favorisent de concert l’art et l’artisanat, produisent des matériaux de qualité et de formes qui rendent confortable le quotidien : meubles fonctionnels, légers, aérés qui n’encombrent pas l’espace de vie. L’exposition d’artistes de la Sécession viennoise a souvent eu pour objectif l’évocation du passage du symbolisme à l’expressionnisme. Quant à ce très riche catalogue, dont il faut ressortir et saluer la finesse dans l’analyse de l’émergence de nouvelles formes et de la révolution du langage pictural, il porte un regard inédit sur l’importance de la peau dans l’esthétique de ce bouillon de culture que fut la Vienne de 1900.

À fleur de peau. Vienne 1900. De Klimt à Schiele et Kokoschka, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, février 2020, éditions Hazan, 240 pages, 29,95 €.