La narratrice, une jeune femme, a quitté Buenos Aires sans raisons apparentes, pour revenir en Allemagne, à Heidelberg où elle a grandi lorsque ses parents ont fui la dictature. Installée dans une résidence universitaire sans suivre d’études, elle se retire du monde, se complait dans un théâtre de l’indécision et cultive une sorte de solitude parmi les étudiants de toutes nationalités, plus jeunes qu’elle. Cette exilée indifférente aux autres qui ne veut pas être remarquée, s’enferme dans le non-événement, n’agit pas sur les choses et ne cherche pas à être agie par elles.
Le temps des autres
Un futur interrompt ce repli sur soi. Des étudiants recherchent sa compagnie, lui viennent en aide : Miguel, un compatriote argentin, Shanice, une japonaise qui cache ses angoisses sous un entrain forcené, une gaieté factice et qui se suicide, lui laissant toutes ses affaires, vêtements, appareils photo, ordinateur hauts de gamme. Sa mère, madame Takahashi, venue pour les obsèques, l’entraîne, avec une joyeuse et sensuelle exubérance, dans des situations rocambolesques. Notre « héroïne », peu à peu, s’extrait de son cocon d’insensibilité, de cette gangue de tristesse et de mélancolie diffuses. S’étant découverte enceinte (ignorant qui est le père, son ex ou un amant), elle laisse son ventre s’arrondir. Ses relations alentour se font plus intenses, plus complexes. Elle réalise qu’elle devient quelqu’un aux yeux des autres. Du rejet décidé des sensations à la force des émotions : histoire d’un bienfaisant désaveu, celui que confère la vie, riche des virtualités qu’elle recèle et libère, un désir d’amour qui revient de loin. Tout en lui gardant sa part d’insaisissable, l’auteure, argentine, cerne avec beaucoup d’acuité le manque de raison d’être d’une jeune génération qui trouve difficilement sa place dans la société et qui se convainc de la possibilité de nouveaux départs. Mais quand le fait de croire que l’appétit de vivre était exclu cède la place à un vouloir-vivre retrouvé… et quand les souvenirs d’enfance et le fantastique se donnent rendez-vous au dénouement…
Une chambre en Allemagne de Carla Maliandi, éditions Métailié, 160 pages, 18 €.
