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Réédition de Traquenoir d’Ed Lacy

Ça vire au noir

par PIERRE GAUYAT
Publié le 24 juin 2022 à 18:02

Traquenoir, un roman policier américain, traduit par Roger Martin, qui nous plonge dans l’Amérique ségrégationniste des années cinquante.

Ed Lacy fait partie de ces auteurs de polar américains qui ont fait les beaux jours de la Série noire de Gallimard et de la collection « Un Mystère » aux Presses de la Cité. Il n’est pas aussi connu que Dashiell Hammett, Raymond Chandler ou Chester Himes et ses Ed Cercueil et Fossoyeur Jones, flics de Harlem aux méthodes peu orthodoxes, mais son œuvre n’est pas sans intérêt pour autant. Roger Martin, lui-même auteur de romans policiers et d’enquêtes historiques, s’est employé à retraduire un roman paru dans les années cinquante aux Presses de la Cité. En fait, les traductions de l’époque sont des adaptations plus que des traductions très respectueuses du texte originel. On n’hésite pas faire des coupes et à ajouter des passages pour faire le lien entre différentes parties. Roger Martin s’attache à traduire le livre dans le respect de l’original et de l’auteur.

Plongée dans l’Amérique des années cinquante

Ed Lacy est le pseudonyme de Leonard S. Zinberg, auteur juif new-yorkais communiste et militant antiraciste marié avec une femme noire, ce qui est assez exceptionnel dans l’Amérique ségrégationniste des années cinquante, même à New York. Tous ces éléments se retrouvent dans son roman, Traquenoir, qui est l’un des tout premiers de la littérature policière américaine à mettre en scène un privé noir, Toussaint Marcus Moore. Souvent dans le roman noir, l’intrigue policière est relativement secondaire et prétexte à la description d’une situation sociale. Ici, Moore est recruté pour surveiller un individu recherché jusqu’à ce qu’il soit arrêté par la police… sous l’œil des caméras de télévision dans une sorte d’émission de téléréalité. Lorsque celui-ci est assassiné, il devient le principal suspect. Pour tenter de se disculper, il part enquêter dans le Sud profond où les Noirs sont toujours victimes de la ségrégation. Ainsi, il ne peut prendre une chambre d’hôtel et doit coucher chez l’habitant dans une famille noire. Cette visite dans le Sud est aussi l’occasion de montrer la réalité sociale où les Blancs pauvres vivent aussi chichement que les Noirs. Dans ce texte, ce sont des Noirs qui agissent et se défendent par eux-mêmes alors que dans une partie de la littérature américaine, même celle qui se veut progressiste parfois, ce sont trop souvent des Blancs qui luttent pour les droits des Noirs, relégués au rang de spectateurs reconnaissants. Ce prisme original change le regard porté sur les Afro-Américains.

Un roman en avance sur son temps

Ce roman rend particulièrement bien les blocages de cette Amérique où les Noirs sont confrontés à des interdits tels, en raison de leur couleur de peau, qu’ils n’y ont pour ainsi dire pas leur place. Un véritable apartheid. Ce texte propose également de très beaux portraits de personnages féminins, des femmes noires qui savent ce qu’elles veulent ou un couple de lesbiennes blanches qui ne cherchent pas à cacher leur amour. Le tout dans un roman des années cinquante, très en avance sur son temps. Roger Martin est également l’auteur d’une riche biographie sur Ed Lacy, Ed Lacy, un inconnu nommé Len Zinberg, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

  • Ed Lacy, Traquenoir, traduit par Roger Martin, éditions du Canoë, 304 pages, 18 €.
  • Roger Martin, Ed Lacy, un inconnu nommé Len Zinberg, éditions À plus d’un titre, 302 pages, 20 €.