Un square et les bâtiments alentour... Des habitants et des passants... Joséphine assise sur un banc dévisage tous ceux qui s’installent ou traversent le jardin public, juge la couleur de leur peau. Guillaume lit, prend des notes et écrit ses pensées. Magali, après des mois de soins, reprend goût à la vie avec le soleil. Anaïs, posée à califourchon sur un banc, parcourt sa tablette... Des personnes d’âges et de milieux sociaux divers, certains désignés par leur prénom, d’autres par des qualificatifs vagues (l’individu, le quelconque, l’importun). Dans ce square élevé au rang d’une sorte d’agora, Sylvie Germain extrait chacun d’eux de son statut d’anonyme pour en faire une saga miniature, quotidienneté arrachée à son insignifiance apparente. Elle porte un regard plein d’attention sur des êtres qui réalisent qu’une existence n’est pas toujours une réussite. Certains se sont construit une bulle, un refuge imaginaire, lieu magique et fantôme d’une échappée belle.
Histoires de vies enchâssées
Son réalisme, Sylvie Germain le capte dans les attitudes et comportements de ces voisins occasionnels, au fond de leur tête et dans leur cœur, dans le manque qui les étreint, à la source de leurs fêlures mais aussi à la levée de cette petite pointe d’espérance qui les pousse à s’accrocher à leurs vies cloisonnées et en points de suspension. Elle entre dans les profondeurs de leurs paysages intimes, dans le façonnement de soi que chacun d’eux cherche à ne pas dévoiler. Le banal, l’anecdotique prennent des couleurs : histoires fragiles au bord de l’enlisement ou palpitations, sursauts et avancées vers l’autre pourtant inconnu. Se gardant d’affirmer une position de surplomb, privilégiant la justesse de « l’observation », elle met le lecteur de plain-pied avec des « épopées » du moindre instant, microcosme qui reflète bien davantage que des fragments du monde. Elle fait se rejoindre ce qui n’était pas prévu pour l’être : l’infiniment petit de chaque « je » et l’infiniment grand d’un monde tranché et tranchant, un outrenoir incisé de quelques éclats de lumière. Certaines personnes qui n’étaient pas préparées à vivre le confinement, brutalement démunies de tout, ressentent l’emprise grandissante de la solitude. Sylvie Germain octroie au quotidien, au silence, au vide, au tragique, à la tendresse, une dimension poétique et à ces brefs aperçus de vies ordinaires un son intense de mélancolie.
Brèves de solitude de Sylvie Germain, éditions Albin Michel, 216 pages, 18,90 €.