Louis-Ferdinand Céline est sans doute l’un des plus grands écrivains français du 20ème siècle, avec Marcel Proust et Louis Aragon. Il n’en demeure pas moins qu’il traîne derrière lui une réputation détestable, et pour tout dire, amplement méritée. Les accusations d’antisémitisme dont il fait l’objet sont corroborées par certains des trop fameux pamphlets qu’il a fait paraître avant et pendant la guerre et par sa complaisance coupable vis-à-vis de l’occupation nazie. Céline avait la conscience si peu tranquille qu’il a filé dès le mois de juin 1944 en direction de l’Allemagne hitlérienne. Il en ramènera le fabuleux D’un château l’autre, description hallucinée de la petite colonie de collabos français réfugiés à Sigmaringen autour de Pétain et de l’effondrement du Troisième Reich.
On savait depuis longtemps qu’une partie de son œuvre avait disparu, Céline lui-même s’en plaignait régulièrement. Beaucoup pensaient qu’il s’agissait en partie de délires paranoïaques de l’auteur, coutumier du fait, et geignard pathologique. Eh bien, non ! Céline disait vrai ! Une partie de son œuvre, entreposée chez lui à Montmartre, avait bel et bien disparu lors de la Libération de Paris. En fait, elle n’était pas tant perdue que cela puisqu’elle a ressurgi du passé l’été dernier. Jean-Pierre Thibaudat, ancien journaliste à Libération, vient de publier un petit ouvrage, Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé, dans lequel il raconte par le menu comment il est devenu le dépositaire, et non le propriétaire, de ces manuscrits d’une valeur littéraire inestimable.
À l’été 1944, Yvon Morandat, résistant et futur ministre du général de Gaulle, prend possession de l’appartement de Céline qui a été saisi. Il range les papiers qu’il trouve dans une caisse qu’il dépose à la cave. À sa mort, en 1972, sa famille retrouve cette caisse dont elle ne sait quoi faire. L’une des filles de Morandat entre en contact avec Thibaudat par l’intermédiaire d’amis communs et lui remet cet encombrant héritage. Dès lors, le journaliste consacre son temps libre à mettre de l’ordre dans ces papiers disparates qu’il déchiffre et met au propre. À la demande de la famille Morandat et par convictions personnelles, il ne dit rien de sa trouvaille pendant 30 ans, ne voulant pas que la veuve de Céline puisse tirer un quelconque profit de ces textes. Elle est décédée, à Meudon, en 2019, à l’âge de 107 ans… Dès lors, Thibaudat entame les démarches pour remettre les manuscrits aux ayants-droits de l’auteur. Le premier manuscrit, Guerre, est paru chez Gallimard au printemps ; le second, Londres, est disponible en librairie ces jours-ci. D’autres doivent suivre, dont une édition plus substantielle de Casse-pipe, ainsi que des romans totalement inconnus. Louis-Ferdinand Céline est un immense écrivain dont la grandeur n’a d’égale que la mesquinerie et la petitesse de Louis-Ferdinand Destouches, son véritable patronyme, mais il laisse, qu’on le veuille ou non, une œuvre majeure de la littérature mondiale.