Dictionnaire des figures du 7e Art d’origine littéraire

Commune présence

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 27 août 2021 à 12:07

A la différence du dictionnaire classique, recueil par ordre alphabétique des mots d’une langue, celui de Michel Serceau que viennent de publier les éditions Classiques Garnier est doté d’une valeur de nouveauté affectant dans un même mouvement littérature et cinéma. Il dépasse la question de l’adaptation que l’auteur a traitée en 2019, Le Cinéma fait sa littérature chez le même éditeur et déjà en 1999, L’adaptation cinématographique des textes littéraires. Théories et lectures, éditions Céfal. Il est par ailleurs l’auteur d’ouvrages sur des cinéastes (Rossellini, Rohmer) et sur des sujets tels l’imaginaire, l’utopie, les genres, toujours en relation avec le cinéma. Au vu de ces références, nous voyons qu’une relation d’amour s’est établie depuis des décennies entre lui et l’objet de ses récentes recherches.

De l’écriture à l’image : mémoires d’un objectif

Cet ouvrage n’est pas un Dictionnaire des personnages du cinéma. Celui-ci existe depuis 1988 (Bordas éditeur) et Michel Serceau y a recours à plusieurs reprises : une cinquantaine de passionnés, sous la direction de Gilles Horvilleur, se sont intéressés à la puissance mythique du grand écran (personnages historiques ou imaginaires, acteurs, actrices et films). La démarche de Michel Serceau englobe cette dernière : les figures du 7e Art du titre peuvent « s’incarner dans divers personnages, prendre diverses identités, divers visages, dans divers contextes historiques et situations ». Ainsi si on s’intéresse à Edmond Dantès (Le Comte de Monte-Cristo) ou à Robin des Bois, tous deux « matérialisant » l’idée de justice, sont devenus des mythes. On peut leur trouver des avatars, ascendants et descendants. Le chapitre consacré à la figure du surhomme réunit des personnages de la mythologie grecque et du Moyen Âge, tels Hercule, Ulysse, Achille, Persée, Roland, le Roi Arthur, Lancelot, Ivanhoé... Parmi les entrées, on découvre Bandit, Bas-fonds, Diable, Double, Enfant trouvé, Femme fatale, Frères ennemis, Justicier, Mère, Fin du monde, Monstre, Révolté, Sauvage, Séducteur... D’autres figures sont renvoyées à une autre entrée : Cendrillon à Mère, Faust à Démiurge, Lilith ou Circé à Femme fatale...

Imposant et stimulant inventaire

Le lecteur appréciera les tableaux avec double entrée, chronologique et thématique, qui permettent d’affiner les différentes composantes des figures. Si on choisit par exemple celle du Coupable, cinq rubriques opèrent la distinction entre coupable, faux coupable, coupable victime de préjugé, coupable en proie au remords et institution judiciaire en question. Nous sommes désormais en possession d’un outil de découverte et de travail de première grandeur, sans équivalent, qui s’adresse aux chercheurs aussi bien qu’aux amateurs curieux dont l’esprit et le cœur s’enchantent à la lecture d’œuvres littéraires et à la vision de films. Les connaissances, la sagacité critique de l’auteur ouvrent des pistes argumentées et toujours prêtes à de nouvelles interrogations sur l’imaginaire de nos sociétés, sur nos modèles identificatoires, sur la manière dont s’engendrent les représentations sociales ainsi que sur les tensions qui travaillent les différentes périodes historiques. Les analyses qu’il développe, l’aisance qu’il manifeste, alliant le détail érudit et les perspectives d’ensemble, sensibilité et intelligence conjuguées, rendent très stimulantes les relations entre littérature et cinéma. L’ouvrage ne cesse, au fil des pages, des renvois et des va-et-vient, de solliciter chez le lecteur l’envie d’aller plus loin, d’explorer une nouvelle figure dont il sort à chaque fois enchanté. Et dans l’espace que creusent les questions, persistent toujours vivants l’amour de la découverte des œuvres, le plaisir qui en découle et les analyses qui permettent de saisir à travers elles cette réalité primordiale et changeante relevant de l’histoire des mentalités. Le social, le poli- tique ne se contentent pas de se refléter dans les fictions, l’écriture littéraire ou cinématographique n’est pas un simple instrument de représentation mais le « lieu d’une action ».

Dictionnaire des figures du 7e Art d’origine littéraire, Michel Serceau, éditions Classiques Garnier, 1092 pages, 49 €.