Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon

Dans le miroir de vies anonymes

par Alphonse Cugier
Publié le 21 août 2020 à 16:22

Écrire sur les traces du père, c’est s’éprouver comme fils. Et pourtant Marie-Hélène Lafon raconte plutôt les liens d’André (le fils du titre) avec ses deux mères : Gabrielle, la mère naturelle qui, avant de s’installer à Paris, a laissé ce fruit tardif aux soins de sa sœur Hélène. Elle ne revient qu’en été passer ses vacances en famille dans le centre de la France, le Lot et le Cantal, où André grandit au milieu de ses cousines.L’auteure sonde le cœur d’une famille et ce qu’elle fait émerger, même ce qui gît sous les silences, elle le rend avec une justesse terriblement attachante. Bonheurs tranquilles, grandes joies, douleur déchirante... L’extraordinaire de destins ordinaires, fragments d’une humanité retrouvée, vies discrètes, « muettes » de terres rurales trop souvent ignorées, composent une saga qui, de 1908 à 2008, opère de multiples allers et retours, chevauchements entre les époques. Cette démarche qui refuse le déroulé chronologique suscite chez le lecteur une interrogation concernant la piste du père, passé qui subtilement tarde à dire son dernier mot, père absent mais dont on suppute qui il est. Marie-Hélène Lafon témoigne d’une forte empathie pour ses personnages. Et que dire de ces deux « fantômes », une mère qui passe, un père qui manque, ce dernier bel homme au cœur sec ? Un roman sans tension dramatique, attentif tout particulièrement aux odeurs, saveurs, couleurs et lumières ainsi qu’au toucher et aux corps. Et le verbe, des mots rendus habitables, se fait chair, sève, souffle, palpitation, murmure... jamais en danger de tarir. Toute l’œuvre de Marie-Hélène Lafon (citons entre autres L’Annonce et Joseph) nous apprend à nous sentir vivants, comme elle qui, bien que devenue romancière, ne brûle pas ses racines.