En dédicace ce samedi à la librairie Place Ronde à Lille, Plana Radenovic, journaliste spécialisée en police-justice depuis douze ans, à La Voix du Nord d’abord puis au Journal du dimanche, porte une collection originale sur les faits divers, lancée en novembre dernier. La parole est donnée à ceux qu’on entend moins, la famille des criminels ou les criminels eux-mêmes.
- Qu’est-ce qui vous attire dans les faits divers ? J’aime le côté à la fois humain et psychologique. Lors des procès d’assises, mon moment préféré est la prise de parole des experts psychiatriques. Cela me passionne. J’aime particulièrement les histoires de gens normaux qui un jour basculent et pas tellement celle des tueurs en série par exemple. J’ai l’impression que les faits divers concentrent tous les enjeux de la société. Essayer de comprendre ce moment de bascule me passionne.
- Comment est née l’idée de cette collection ? Elle est née il y a longtemps d’un échange avec Yves Michalon (le fondateur des éditions Michalon décédé récemment, ndlr). Anne Leclercq, qui lui a succédé, a ressorti cette idée et c’était le bon moment, je me sentais prête.
- Quels types de récits va-t-on trouver dans cette collection ? La collection est consacrée aux affaires criminelles racontées par un des acteurs de l’affaire, qu’il soit du côté civil ou de celui de l’accusé. On assume parfaitement un point de vue suggestif sur l’affaire car il s’agit de témoignages et non pas d’un travail journalistique. L’auteur peut être un policier, un avocat, un parent. Ce sera différent à chaque fois. Ce n’est pas l’émotion qui nous intéresse mais bien les questions que ces témoignages soulèvent et la réflexion qui en découle. Ce ne sont donc pas des livres de journalistes qui ont tendance à se mettre trop en avant dans le récit. Par exemple le premier livre, Moi, maman de Jonathann [1], a été écrit par sa mère Martine Henry. On a effacé mes questions pour mettre en valeur sa parole. Et pour le second livre, Depuis l’enfer gris, je ne publie pas les lettres que j’ai écrites à Rédoine Faïd [2] car ce sont les siennes qui sont intéressantes. L’objet de ma collection est de donner la parole à ceux qui sont habituellement les sources des journalistes dans les affaires judiciaires. Tous ceux qui pourraient nous raconter l’histoire – le dossier d’instruction envisagé comme un polar réel - avec leur point de vue.
- Que répondez-vous à ceux qui qualifient cette parole de gênante ? Le témoignage relève du vécu et permet l’identification. Il y a une certaine zone grise concernant les criminels et leurs paroles. Ils sont du mauvais côté. Mais dans une société, tout n’est pas binaire. Dire que les choses sont plus nuancées, ce n’est pas faire l’apologie du crime. Je conçois parfaitement que ce soit difficile pour les victimes ou leurs proches d’entendre parler par exemple de Jonathann Daval ou de Rédoine Faïd. Je partage ce point de vue. Cela dit, les condamnés ont toujours, pour la grande majorité d’entre eux, des droits civiques. Ils votent et certains vont un jour sortir de prison et réintégrer la société. Et c’est en cela que leurs témoignages deviennent intéressants. Ceux qui disent qu’ils n’ont pas à s’exprimer surfent sur le terrain de l’idéologie et des grands principes. Les trois ans de correspondance que j’ai entretenus avec Rédoine Faïd ont permis la compilation d’une quinzaine de ses lettres. Lui donner la parole, c’est en savoir plus sur ses conditions de détention et le monde de la prison. Je suis à l’aise avec cela car, dans mon travail de journaliste, je donne beaucoup la parole à l’administration pénitentiaire, qui d’ailleurs défend aussi de meilleures conditions de détention. Cette collection a pour but de créer des ponts dans la société, de découvrir une parole avec laquelle on n’est pas forcément d’accord, contrairement aux réseaux sociaux où l’on ne côtoie que ses semblables. En tant qu’être humain, on a tous un minimum de points communs les uns avec les autres, sauf avec les psychopathes.
- A-t-il fallu convaincre Martine Henry ou Rédoine Faïd de témoigner ? Pour Martine Henry, la demande venait d’elle. C’est une femme discrète et, en tant que mère de meurtrier, elle ne se sentait pas légitime. Pourtant, elle avait le souhait de s’exprimer et en a fait part à son avocat qui nous a mises en relation. Elle n’est pas habituée à parler de ses émotions et ce n’était pas facile pour elle de voir son récit publié. Au moment de la relecture avant parution, elle avait peur qu’on se moque d’elle, notamment parce qu’elle évoque son accouchement difficile de Jonathann. Pour Rédoine Faïd, c’est totalement différent. Dès le début de nos correspondances, j’en ai l’idée d’en faire un livre car c’était intéressant d’avoir accès à la prison par quelqu’un qui la vit depuis l’intérieur. Je l’informe assez vite de mon intention d’en faire un livre. La seule difficulté que nous avons rencontrée est la concordance avec le fait qu’il écrit en parallèle son autobiographie avec une autre maison d’édition et que les droits ont été achetés pour l’adapter une série.
- Avez-vous dû procéder à des demandes de modifications avant parution ? Rédoine Faïd est quelqu’un de très perfectionniste. Il a bien évidemment relu avant validation. Il veut tout contrôler. Jusqu’au dernier moment et juste avant le départ pour l’imprimeur, il se posait des questions. Il téléphonait à sa nièce qui m’appelait pour me transmettre ses points de doute. Il écrit très bien, c’est quelqu’un de très cultivé qui lit beaucoup. Il a fait quelques changements à la marge. D’ailleurs, on sent très bien qu’il se questionne et qu’il cultive une image de lui-même. Par exemple, il a changé le mot « commissariat » en « comico », sans doute pour se donner un côté un peu plus caïd.
Propos recueillis par Nadia DAKI
Séance dédicace samedi 28 janvier à 15 heures, librairie Place Ronde, 8, place de Strasbourg à Lille. Moi, maman de Jonathann, de Martine Henry, sorti le 17 novembre 2022. Depuis l’enfer gris, lettres de Rédoine Faïd à Plana Radenovic, sorti ce 26 janvier.